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Le

   

 

Chapitre II

     
par Dylan Cotton 

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Que signifie “swing” ?
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A. Contexte général

B. Caractéristiques musicales
1. 1. Les instruments
2. 2. L’organisation mélodique
3. 3. L’organisation rythmique
4. 4. Quelques conseils

Discographie
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A. Contexte Général : les années 30
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Attention : on parle dans ce chapitre d’une époque du jazz appelée “Swing”, et non du swing en tant que procédé rythmique. Pour les distinguer, j’utiliserai le S majuscule en ce qui concerne la période, et le s minuscule en ce qui concerne le principe rythmique. Par souci de cohérence, j’utiliserai la majuscule pour désigner les autres périodes du jazz également.

À l’opulence des années ‘20 (ou plutôt à l’illusion d’une opulence) succède un dur réveil. Krach financier (Wall Street) et chômage massif ne trouveront quelque remède qu’à l’arrivée de Roosevelt à la présidence en 1933. En riposte aux tribulations économiques, le jazz s’affirme comme un divertissement de bon ton. L’abolition de la prohibition lui permet de sortir de sa relative clandestinité. De grands orchestres de jazz (“big bands”) voient le jour, appréciés par les Américains pour leur aspect “show” : musiciens nombreux, installés sur de grandes scènes de ballrooms, bien habillés, jouant des mélodies faciles soutenues par des arrangements bien huilés. Il faut échapper à la morosité, de préférence en dansant...
Le jazz paraît devenir le divertissement national des États-Unis, goûté par les Blancs autant que par les Noirs. Au sein des orchestres, les mélanges sont même fréquents. Pas d’illusions, néanmoins : la chanteuse Swing, Billie Holiday, racontait volontiers que dans certains clubs, les musiciens afro-américains utilisaient un pot de chambre dans la cour, en guise de WC, seuls les Blancs ayant accès aux toilettes.
De même que pour le New Orleans à la fin des années ‘20, la fin des années ‘30 ne sanctionna pas le déclin du style Swing. Nombre de chefs d’orchestres et d’arrangeurs continuèrent de se produire avec leurs formations à travers les États-Unis et le monde.

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B. Caractéristiques Musicales :
1. les instruments
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La grande formation, dite big band, est constituée de “sections”, autrements dit de “sous-groupes” d’instruments. On distingue :
--— section “mélodique” :
--------la section des anches : saxophones et clarinettes ;
--------la section des cuivres : trompettes et trombones ;
--------la section des cordes (rarement) : violons, altos, violoncelles, contrebasses (jouées à l’archet) :
--— section “rythmique” :
--------le piano, la guitare, la contrebasse (jouée en pinçant les cordes), la batterie.

Le nombre total d’instrumentistes au sein de ces orchestres était variable, fréquemment situé autour de la douzaine, mais pouvant aller jusqu’à seize ou vingt.
Il est important de noter, cependant, que tout le jazz de l’époque Swing ne fut pas joué par des big bands. Le swing exista aussi bien en trio qu’en quartette, quintette ou sextette..., dits “combos”. En effet, le swing résulte d’une organisation rythmique indépendante du nombre de musiciens qui jouent.
À propos de big bands, précisons que tous ne jouaient pas du jazz, mais aussi de la musique de danse (type salon).
Profitons de ce rappel pour en effectuer un autre : le swing est un principe rythmique fondamental pour toute la musique de jazz. Aujourd’hui encore, nombre de musiciens de jazz jouent swing. D’autres en revanche, et ce depuis les années ‘60, ont rompu le lien originel, au profit d’organisations rythmiques différentes, ou dans un but de désorganisations rythmiques, ainsi que nous le verrons plus loin. Mais lorsqu’on parle de période Swing, il s’agit de désigner essentiellement le jazz des années ‘30 qui, indiscutablement, conduisit la mécanique rythmique swing à son apogée. Les deux significations du terme swing se trouvaient là conjuguées.
Impossible, enfin, d’oublier un instrument soliste parmi les plus importants : la voix. C’est à l’époque Swing que s’illustrèrent notamment les chanteuses
Ella Fitzgerald et Billie Holiday.
 
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2. L’organisation mélodique et harmonique
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Résumons les explications données aux chapitres précédents, particulièrement celles consacrées au New Orleans.
On sait que dans ce style de jazz, les musiciens “collent” au thème, quand bien même ils se prêtent à de multiples paraphrases et variations au moment des improvisations. D’autre part, l’importance donnée aux solistes augmente à mesure qu’évolue le New Orleans. Au cours des années ‘20, l’organisation décrite plus haut - à savoir une polyphonie mélodique à trois (trompette, clarinette, trombone) jouée sur les accords et notes principales du morceau (banjo, tuba) - cède de plus en plus la place à des solos individuels. Dans tous les cas, des conventions bien connues des musiciens et mémorisées par eux sont seules nécessaires pour que l’on puisse jouer ensemble d’emblée, sans erreurs musicales, sans égarements, sans fausses notes, qu’il s’agisse d’improvisation à trois ou de solos soutenus par le band.
Avec l’extension des orchestres en big bands, les conventions ne suffisent plus. Il faut organiser la musique de manière plus prévisible, autrement dit faire appel à un “arrangement”, une “orchestration”, que réalisera un musicien devenant pour la circonstance “arrangeur”. Celui-ci écrit les orchestrations sur une partition générale puis sur des partitions séparées à l’intention de chacun des musiciens. En répétition, la confrontation entre la partition et le résultat sonore permet à l’arrangeur d’effectuer les corrections nécessaires pour que l’ensemble sonne comme il le désire. Il existe également un type d’arrangement dit “head arrangement” ou “stock arrangement”, réalisé sans partitions. Les musiciens reçoivent alors des indications verbales et chantées, qu’ils mémorisent. Quel que soit le type d’arrangement, les “choruses” ou solos n’en demeurent pas moins le centre des morceaux, moments où les musiciens s’expriment individuellement en tant que solistes soutenus par l’orchestre.

L’arrangement est un grand art : il faut savoir créer des sonorités pleines aptes à mettre en relief la rutilance du big band, mais aussi savoir calmer le jeu, tout en évitant les sonorités creuses. Par ailleurs, l’originalité dépend d’associations subtiles entre les instruments, qui ne joueront pas toujours tous en même temps, afin de développer des apartés intéressants. Une des clés de l’arrangement est le “voicing”, à savoir quels instruments seront choisis pour telle partie du morceau et comment ils seront utilisés en fonction de l’effet polyphonique recherché. Le rôle d’arrangeur n’est pas à mettre dans toutes les mains (l’instrumentiste virtuose n’est pas d’office un bon arrangeur).
Certains musiciens de jazz se sont particulièrement illustrés dans cet art (qu’ils aient ou non été compositeurs en même temps), jouant parfois un rôle égal à celui du chef d’orchestre ou “leader” (ainsi par exemple de
Benny Carter pour les orchestres de Fletcher Henderson et Count Basie, ou de Billy Strayhorn pour l’orchestre de Duke Ellington...). Un compositeur peut parfaitement confier l’arrangement de ses thèmes (autrement dit les mélodies et accords subséquents, qui donnent son identité au morceau) à un spécialiste plutôt que de le réaliser lui-même.
Mélodiquement, on constate un affranchissement progressif du musicien par rapport à la mélodie (au thème) de base du morceau. Les improvisations, en effet, ne sont plus des paraphrases et des variations, mais de vraies inventions qui tiennent compte principalement des accords joués par le piano ou la guitare, ainsi que des notes principales des accords, émises par la contrebasse.
Souvent, dans les big bands, les musiciens des sections mélodiques jouent en-dessous du soliste pour le soutenir, le mettre en valeur, relancer son inspiration, en lui donnant du répondant. Leur jeu est alors plus rythmique que mélodique, et souvent il s’agit de “riffs”, phrases musicales assez courtes et efficaces, pouvant même se limiter à une ou deux notes, sortes de “shoots” orchestraux (trompettes, trombones, saxophones, clarinettes) parfois nommés en français : “pêches”. Mais il peut s’agir aussi d’interventions mélodiques plus élaborées, dont regorgent les arrangements de la période swing.

Enfin, les accords se complexifient par rapport aux harmonies basiques du New Orleans. Leur sonorité s’enrichit de notes ajoutées qui donnent aux solistes plus de possibilités. Cette notion est facile à comprendre à la lumière des explications fournies précédemment : on sait que les musiciens jouent en tenant compte des notes émises par le banjo, la guitare ou le piano (accords). S’il s’agit d’accords de trois notes, les musiciens improviseront sur une gamme qui correspond à ces accords, mais en faisant régulièrement entendre dans leurs phrases musicales les pôles de ces accords, en l’occurrence les trois notes qui le composent. Il est évident que si l’accord est constitué de quatre ou cinq notes, voire plus encore, les points d’appui du musicien s’en trouveront augmentés et diversifiés. Les retours aux notes de base seront moins contraignants. Moins il est coincé par le contexte harmonique, plus le soliste est libre mélodiquement.
Une modification importante dans le langage du Swing consiste en l’abandon définitif des improvisations simultanées propres au New Orleans - initial surtout. L’ère du solo est ouverte. Fini le front commun trompette - clarinette - trombone. Fini le parallélisme. Désormais les improvisateurs s’expriment individuellement, accompagnés par le band.
La liberté de l’improvisateur Swing se matérialisa en des mélodies d’une fluidité et d’une souplesse inconnues des musiciens de la période New Orleans. Ces qualités générèrent trois autres caractéristiques moins séduisantes : abondance, prolixité, gratuité... annoncées dès les années ‘30. Le Néo-Orléanais
Louis Armstrong, par exemple, au meilleur de sa forme sur le plan de la virtuosité (grandes démonstrations) fut parfois peu soucieux de créativité. De même, il faudra apprécier le Swing en tenant compte de ses qualités et de ses défauts, d’un musicien ou d’un disque à l’autre. L’étiquette “swing”, enfin, s’adapta aussi bien à des Coleman Hawkins (sonorité richement timbrée et très expressive, swing nerveux, improvisations lyriques, abondance du discours) qu’à des Lester Young (recherche d’une sonorité dense mais peu vibrante, swing nonchalant, improvisations contrastées, réserve).

Notons, pour terminer, qu’appartient au Swing un genre particulier intitulé “Jungle” (à ne pas confondre, bien entendu, avec le courant Jungle, lié au Trip hop notamment), bien décrit par Lucien Malson en son Histoire du jazz : “Le rythme sèchement battu, les lamentations des anches, les vociférations grumeleuses des trompettes et des trombones bouchés, évoquent l’angoissante épaisseur de la forêt et agitent les fantasmes d’une Afrique originelle”. Duke Ellington illustra magnifiquement ce genre.

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3. L’organisation rythmique
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Remontons quelques instants aux années ‘20, pour parler du boogie woogie. Voici une forme de musique pianistique dérivée du blues dont il emprunte la structure tout en l’accélérant. Le pas à franchir, vingt années plus tard, pour accéder au Rhythm’n’blues et au Rock’n’roll ne sera pas énorme... Mais dans les années ‘20, il s’agit d’une musique de danse très proche du jazz et très apte au swing, dont il faut tenir compte en tant que catalyseur dans l’élaboration du style Swing.
La caractéristique rythmique du boogie woogie, en contraste avec le style New Orleans mais en relation avec le Swing, est le “four beats” : chacun des temps de chaque mesure, laquelle est en quatre temps, est accentué. Notons encore que le ragtime participait du même principe (les quatre temps marqués), mais sans le swing, c’est-à-dire sans l’alternance note lâchée (longue) / note retenue (courte).
Dérivé du ragtime et parallèle au boogie était le piano stride, désignant un jeu très sec et carré, de la main gauche, qui marquait les temps dans le grave et le medium, tandis que la main droite se livrait à des broderies virtuoses dans l’aigu.

Résumons les données introduites jusqu’ici :
---Jazz New Orleans 1e période : les temps forts (1 et 3) sont seuls marqués ;
---Jazz New Orleans 2e période : accentuation des temps faibles (2 et 4) sans pour autant gommer les temps forts mais en soudant 1 à 2 et 3 à 4 (esprit “two beats”) ;
---Jazz swing : tous les temps (1, 2, 3 et 4) sont marqués individuellement, les temps faibles (2 et 4) étant accentués (esprit “four beats”).

Dans le swing, l’écoute attentive de la contrebasse suffira à l’auditeur pour comprendre que tous les temps sont joués distinctement. Cet instrument, simple à suivre, permet aisément de se rendre compte du principe four beats (quatre temps).
Ensuite, si l’on porte son attention sur la batterie, on constatera sans difficulté également que les temps 2 et 4 sont mis en valeur par certaines pièces comme la caisse claire (ce tambour amélioré). La cymbale “ride” (douce) marque l’alternance longue - courte. Attention : il y a des exceptions à ces principes qui, d’autre part, ne sont pas toujours réunis.

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4. Petits conseils
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Écoutez les big bands en imaginant l’ambiance des ballrooms (nombre de films américains nous en donnent une idée). Souvent, les arrangements vous paraîtront proches de ce que l’on appelle “la musique de variété”, avec leurs mélodies faciles et leurs “coups de gueule” symphoniques. Mais une audition analytique pourra faire découvrir bien des subtilités, lorsque l’ochestre est bon. Il faut écouter un morceau plusieurs fois, en se concentrant sur des sections d’instruments différentes ou - si l’on n’est pas familiarisé avec la reconnaissance des instruments - en recherchant les plans sonores différents et leurs trajets respectifs - autrement dit les entrelacs des différents sous-groupes les uns par rapport aux autres.
Par ailleurs, écoutez les petites formations : moins rutilantes, elles permettent souvent d’appréhender plus directement le langage des solistes, lequel, tout au long de la décennie swing, fut tantôt classieux, tantôt lyrique, toujours ludique...

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Références discographiques
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Précurseurs du swing, les pianistes de boogie-woogie :


AMMONS, Albert
Master Of Boogie, 1936-1939

JOHNSON, Pete
1938-1939

LEWIS, Meade Lux
1927-1939

PRICE, Sammy
Sammy Price And His Texas Blusicians 1921-1941

Précurseurs du swing, les pianistes de stride :

JOHNSON, James P.
1921-1928
Feelin’ Blue, 1927-1931
Snowy Morning Blues, 1930-1944
1938-1942

WALLER, Fats
Turn On The Heat, 1927-1941
1922-1926
Fats And His Buddies, 1927-1929

Les musiciens swing :

ALLEN, Henry Red
Henry Red Allen And His Orchestra 1935-1936

BASIE, Count
The Essential Count Basie - Vol.1, 1936-1939, Vol.2, 1939-1940
Count Basie, 1941 - 1950
Beaver Junction, 1944-1947

CALLOWAY, Cab
Cab Calloway And His Orchestra 1930-1931, 1931-1932,
Hi-De-Ho Man, 1935-1947

CHRISTIAN, Charlie
Complete Edition -
Vol.1 : 1939,
Vol.2 : 1939

ELLINGTON, Duke
Early Ellington, 1927-1934 (Jungle)
Duke Ellington And His Orchestra
1930,
1931-1932
The Brunswick Sessions,
Vol.1, 1932,
Vol.2, 1932-1933,
Vol.3, 1933-1935
Take The “a” Train 1933-1941
Duke Ellington And His Orchestra 1937
The Blanton/Webster Band, 1940-1942
Carnegie Hall Concerts, December 1944
The Complete Duke Ellington 1947-1952 -
Vol.1,
Vol.2,
(Etc. 5 Volumes)

FITZGERALD, Ella 
The Early Years - Part 1, 1935-1938
Pure Ella, 1950-1954
The Rodgers And Hart Songbook -
Vol.1, 1956,
Vol.2, 1956
At The Opera House, 1957
Ella Fitzgerald Sings The Duke Ellington Songbook, 1957

GOODMAN, Benny
After You’ve Gone / The Original Trio And Quartet Sessions - Vol.1, 1935-1937
Sing, Sing, Sing, 1935-1938
Benny Goodman And His Orchestra 1937-1938
Benny Goodman - Vol.1 : Roll’ Em, 1937-1939
Avalon : The Small Bands - Vol.2, 1937-1939
Sextet Featuring Charlie Christian, 1939-1941

HAMPTON, Lionel
Lionel Hampton And His Orchestra 1937-1938, Vol.2, 1928-1930, k 2741, 1939-1940
Hot Mallets - Vol.1, 1937-1939

HAWKINS, Coleman
1929-1934
In Europe 1934-1939
1937-1939
Body And Soul, 1939-1956
The Chocolate Dandies / Leonard Feather’s Allstars, 1940-1943
Hollywood Stampede, 1945-1947

HENDERSON, Fletcher
Fletcher Henderson And His Orchestra
1931,
1934-1937,
1937-1938

HINES, Earl
Earl Hines And His Orchestra
1932-1934
1934-1937
1937-1939

HOLIDAY, Billie
The Quintessential,
Vol.1, 1933-1935,
Vol.2, 1936,
Vol.3, 1936-1937,
Vol.4, 1937 Etc. (8 Volumes).

KIRK, Andy
And His 12 Clouds Of Joy
1936-1937,
1937-1938,
1938

LUNCEFORD, Jimmie
Stomp It Off, 1934
Jimmie Lunceford And His Orchestra
1935-1937
1939
1939-1940

PETERSON, Oscar
(on dépasse le cadre des années ‘30 / ‘40 afin d’insérer Oscar Peterson, sa discographie ne débutant qu’à partir des années ‘50)
At Zardi’s, 1955
At The Stratford Shakespearean Festival, 1956
a Jazz Portrait Of Frank Sinatra, 1959
Plays The Cole Porter Songbook, 1959

REINHARDT, Django
1934-1935
1935
Djangologie Usa
Vol.1, 1936-1937
Vol.2, 1937-1940
Enregistrements Originaux,1937-1949

TATUM, Art
1932-1934 : Piano Solos And Rare Adelaide Hall Accompaniments
1934-1940
Standard Transcriptions 1935-1943

WALLER, Fats
1934-1935
The Middle Years -
Part 1, 1936-1938,
Part 2, 1938-1940
The Complete Fats Waller And His Rhythm,
1934-1935,
1935, (Etc., 14 Volumes)

WEBB, Chick
Chick Webb And His Orchestra
1929-1934
1935-1938

YOUNG, Lester
Story -
Vol.1, 1936-1937,
Vol.2, 1937-1938, (4 Volumes)
Lester Young Trio, 1943-1946
Live At The Royal Roost 1948

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Que signifie “Be Bop” ?
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A. Contexte général

B. Caractéristiques musicales
1. 1. Les instruments
2. 2. L’organisation mélodique
3. 3. L’organisation rythmique
4. 4. Quelques conseils

Discographie
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A. Contexte général : les années 40
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Les premiers enregistrements réellement “Be bop” datent de l’après-guerre. Cependant, on rattachera aussi au Be bop la période de la seconde guerre mondiale, en tant que charnière.
Notons tout d’abord que, le service militaire étant devenu obligatoire, de nombreux musiciens de jazz se retrouveront sous l’uniforme pour participer à l’intervention américaine dans le second conflit mondial, d’abord officieuse puis officielle, jusqu’à la bombe de Hiroshima en août 1945.
Certains auteurs parlent de “crise d’adolescence musicale” à propos d’un style généré par de jeunes musiciens noirs chez qui la contestation s’exprimait en notes plutôt qu’en mots. Cette circonstance pèse sans aucun doute de son poids dans le mouvement de balance qui marqua le passage du Swing au Be bop.
Il faut tenir compte également des possibilités d’apprentissage de la musique, qui n’étaient pas souvent idéales. Quelles possibilités un Noir de souche sociale défavorisée (autrement dit la majorité) a-t-il de développer la technique d’un instrument autrement que par lui-même, donc en autodidacte ? Il a parfois l’occasion d’entendre et de voir des musiciens sur scène - et d’en tirer une leçon, parfois la chance de parler avec un de ces musiciens - et d’en obtenir des conseils -, mais à part cela, son unique recours est souvent le phonographe, grâce auquel il peut écouter et réécouter les maîtres. Ceci est cependant un grand avantage, lorsqu’on sait que l’acquisition d’un instrument de musique relève déjà de l’exploit. Certains musiciens parvinrent à s’exprimer envers et contre toutes sortes d’aventures techniques dues à la mauvaise qualité de leur saxophone ou de leur trompette.

Au-delà de ces contingences techniques, une lacune du film “Bird” de Clint Eastwood, consacré au musicien de Be bop Charlie Parker, est de ne faire aucune allusion aux milliers d’heures d’apprentissage nécessaires au musicien de jazz pour :
---1. acquérir une technique la plus complète possible de son instrument ;
---2. intégrer cette technique dans un contexte réellement artistique sans lequel elle demeurerait lettre morte ;
---3. développer un style vraiment personnel ou même novateur (ceci étant réalisé à des degrés très divers selon les musiciens, et souvent pas du tout).
Le seul point 1 exige une grande patience investie en fastidieuses gammes, arpèges et formules dites “patterns” ou “licks” (stéréotypes utilisés par les débutants pour évoluer sans risques sur les grilles d’accords mais... le tout est de parvenir ensuite à s’en passer, à tout le moins d’inventer les siens). Ne parlons pas des deux autres exigences...
Certainement, un don particulier ou carrément le génie (c’est le cas pour Parker notamment) font aller les choses, mais il faut savoir que le jazz n’est pas plus facile à jouer que la musique classique et qu’il se complexifie à mesure qu’il évolue. Les subtilités de l’improvisation Be bop sont d’ailleurs telles qu’il serait inutile de demander à un musicien classique de s’y prêter. Aujourd’hui, ces différences ont tendance à s’aplanir, avec la prolifération d’écoles de jazz et universités où la musique classique fait farine au moulin de la maîtrise la plus complète possible d’un instrument, tandis qu’aux musiciens d’éducation classique il arrive de fréquenter, complémentairement, les cours de jazz. Ainsi voit-on apparaître des instrumentistes capables de jouer dans l’un et l’autre style, bien qu’un choix s’impose tôt ou tard.
Dans les années ‘40 en tout cas, nous n’en sommes pas là.
Certains jeunes musiciens, confrontés à un apprentissage en marge ou/et soucieux de changement, ont développé des éléments de style “non orthodoxe”, générateur d’innovation, sous le nom de Be bop (simplement nommé Bop par la suite).
Le terme Be bop semble issu des chanteurs scat. En effet, lorsqu’un chanteur chante un thème jazz, son improvisation s’effectue sans paroles, à l’aide d’onomatopées. Ceci porte le nom de scat. Be et bop faisaient partie des syllabes utilisées.
D’aucuns (comme le trompettiste Be bop
Dizzy Gillespie) avancent que les notes correspondant à be et bop étaient en rapport de quinte diminuée, un intervalle intensivement utilisé dans le Be bop.

Dans la quinte diminuée, la note fondamentale d’une gamme (dite tonique) est suivie d’une autre note de base relative à cette gamme (la dominante) mais jouée baissée. C’est donc le degré juste au-dessous sur lequel s’appuie régulièrement le musicien parmi la multitude de notes qui feront son improvisation. Or, au tout début de cet exposé, on avait défini les blues notes, les notes clés du blues, comme étant les 3ème et 7ème notes d’une gamme, baissées par un bémol, autrement dit jouées juste un peu plus bas. Avec le Be bop, on traite désormais la 5ème note de la gamme de la même manière.

NB : le musicien ne joue pas toujours les 3ème, 5ème ou 7ème degrés baissés. Il peut aussi - et ne s’en prive pas - faire entendre successivement les notes baissées et non baissées, ou les utiliser non baissées, selon les phrases mélodiques dont il a l’inspiration.

Enfin, puisque qu’on parle des notes baissées du blues, précisons que la structure blues connut auprès des musiciens de Be bop un regain certain, quand bien même l’esprit du nouveau style en métamorphosait l’apparence.
C’est au début des années ‘40 que la réunion dans certains clubs de New York (le célèbre Minton’s notamment) de musiciens lassés de l’“orthodoxie” swing et désireux d’expérimentations susceptibles de donner une autre vie aux canevas ressassés par leurs aînés, entraînera d’importantes transformations dans le langage du jazz.
Il faut noter qu’au terme de cette transformation, c’est-à-dire au moment où le Be bop s’imposera comme le style de la décennie, le jazz en aura terminé avec la danse de bal des ballrooms. Le Be bop suscitera des mouvements différents, créatifs, facilités par l’abandon de la danse en couple. Sociologiquement, ceci revêt une importance toute particulière car, depuis sa naissance à la fin du 19ème siècle jusqu’aux années ‘40, jazz et danse d’“amusement”, d’“entertainment”, ont toujours été, si pas inconditionnellement, tout au moins étroitement liés. Or, les innovations du Be bop sanctionnent le terme de cette union.
Quelle sera l’attitude des amateurs de musique de danse ? Dans un premier temps, ils se rabattront sur les orchestres swing qui, en dépit du Be bop, continuent avec succès d’égrener leurs rengaines. On assiste même à une renaissance du New Orleans, appelée New Orleans Revival.
Mais peu à peu, au cours des années ‘40, le Rhythm and blues, suivi du Rock and roll, ouvriront une voie nouvelle qu’empruntera désormais la majorité (jusqu’au Funk et au Rock), laissant le jazz aux générations précédentes et aux amateurs avertis.

Dès 1938, en effet, le chanteur et saxophoniste noir
Louis Jordan avait constitué une petite formation nommée “The Timpany Five” dans le but de jouer une musique de danse simple et efficace. Le succès fut immédiat. Laissant les jazzmen swing égrener leurs rengaines, Jordan se spécialisa dans des blues rapides truffés de riffs (formules mélodiques et rythmiques à la fois, jouées par la guitare, le piano et surtout par les instruments à vent), agrémentés de vocaux. Une de ses chansons, “Choo Choo ch’boogie”, enregistrée en 1946, se vendit à plus d’un million d’exemplaires.
À partir de ce moment, le Rhythm and blues prendra un essor considérable. Il donnera naissance, dans les années ‘50, au Rock and Roll, lequel, sous l’égide des
Beatles (au contact des chansons de Bob Dylan notamment), deviendra le Rock - au cours des années ‘60.
L’émergence du Be bop constitue donc un moment critique pour le jazz, en tant que fracture. (Mais quelle fracture ! Wagner n’en créa pas de plus grande lorsqu’il introduisit le chromatisme dans la musique classique, ouvrant la porte à l’atonalité).

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B. Caractéristiques musicales :

1. les instruments
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Nous voici souvent en présence de groupes aux dimensions modestes, sous forme de combos réunissant quatre à huit musiciens. Distinguons-y :
---— la section rythmique : piano ou guitare, contrebasse, batterie ; (notons bien que piano, guitare et contrebasse apportent également la dimension harmonique) ;
---— la section mélodique : saxophone alto ou/et ténor, trompette, trombone.
Quartettes avec saxophone, quintettes avec saxophone et trompette, sont des formules très fréquentes en Be-bop.
Certaines formations Be bop s’étofferont sous l’influence d’un afro-cubanisme faisant la part belle aux percussions, les bongos en particulier, sorte de retour aux sources africaines et antillaises du jazz. (Les besoins en main-d’oeuvre, pendant la guerre, avaient favorisé l’immigration aux USA de centaines de milliers d’insulaires des Caraïbes...).

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2. L’organisation mélodique et harmonique
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Les principes décrits pour le New Orleans demeurent valables : la structure des morceaux de jazz consiste, en Be bop également, en l’exposition du thème sur les accords qui lui correspondent, en cycles d’improvisations sur ces accords, et en la réexposition du thème pour terminer.
Les changements apportés par le Be bop, cependant, sont énormes sur les plans harmonique, mélodique et rythmique : accords et improvisations complexes, polyrythmies...
En effet, les pianistes enrichissent et complexifient les accords en leur ajoutant des notes. Il faut savoir qu’un accord le plus simple possible est constitué de trois notes, dont l’association paraît particulièrement harmonieuse à l’oreille. C’est ce que l’on appelle en harmonie classique l’“accord parfait”. En fait, cette association de trois notes jouées simultanément, sonnant si bien, peut aussi donner l’impression de la plus grande platitude. Particulièrement si l’on enchaîne différents accords parfaits, tous constitués de trois notes “agréablement groupées”. L’ennui se profile. Tentons d’introduire une note qui “frotte” contre une autre, autrement dit qui crée une dissonance, un malaise, et voilà créé un sentiment d’attraction-répulsion certainement plus intéressant.
Répulsion : revenons à un accord parfait pour annuler la tension.
Attraction : rajoutons à cet accord parfait (ou un autre) une note savoureusement fausse, car déjà nous regrettons le frottement subtil qui avait frappé notre oreille deux accords plus tôt.
Répulsion : revenons à un accord parfait (consonance) pour reprendre nos marques, nous situer et rassurer notre oreille. Les musiciens disent “résolution”.
Attraction : à peine satisfaits, l’appel d’une nouvelle saveur se fait sentir, c’est l’appel de la dissonance.
Et ainsi de suite, à une cadence nettement plus rapide que celle à laquelle nous contraint la lecture de ce texte. Ce qui montre à quel point le fonctionnement harmonique “tension-détente” agit à notre insu, dès lors que nous n’avons, à l’écoute du morceau, qu’une impression d’ensemble. (Les musiciens ont bien entendu l’occasion d’expérimenter le processus dans la lenteur, en expérimentant sur le piano).
Les pianistes be bop, non contents des apports de l’ère swing (avec l’introduction d’accords un peu plus complexes que ceux du New Orleans), mélangèrent sans économie des accords de quatre notes (3 consonantes, une dissonante), cinq notes (3 consonantes, 2 dissonantes - dont une doublement), six notes et même sept, créant une trame harmonique particulièrement fouillée.
Grâce à cette trame d’accords, les improvisations mélodiques s’enrichissent, puisque le nombre de notes “de base” sur lesquels se posent régulièrement les musiciens dans leurs phrases, et qui sont les notes de l’accord, ont considérablement augmenté - quand bien même ces notes de base sont des dissonances dans l’accord !

Les pianistes des années ‘40 développent un jeu particulier qu’on nomme parfois “locked hands style” (style mains liées) consistant en déplacements d’accords sous forme de blocs parallèles, résultant notamment de l’adaptation au clavier d’effets d’ensembles instrumentaux. On parle également de “block-chords”, accords en bloc.
Il faut ajouter à ces éléments l’utilisation de la quinte diminuée telle que décrite en explication du terme Be bop ci-dessus, ainsi que le chromatisme, qui consiste en l’émission successive de demi-tons (l’espace minimum entre deux notes, dans le système occidental). Ce chromatisme fut également appliqué aux accords en tant qu’accords de passage sur les degrés conjoints d’une gamme.
À la faveur de ces innovations, les thèmes édulcorés de l’ère swing prenaient une allure méconnaissable et à nouveau passionnante. Il s’agissait, en fin de compte, de nouvelles compositions. On en changea donc le nom :
I got rhythm devenait Anthropology ou Red Cross. Cherokee s’appelait Koko. Indiana se nommait Donna Lee etc.
 
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3. L’organisation rythmique
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Nouveau changement dans les accentuations : le batteur utilise la cymbale “ride” (la plus “douce” des cymbales libres) sur laquelle il maintient un rythme, à l’aide de la baguette droite, tandis que la main gauche éclaire le rythme sous un autre jour au moyen de la caisse claire, notamment par des accentuations subtilement placées, non seulement sur les temps faibles (les temps 2 et 4 comme nous l’avions vu plus haut) mais surtout sur les temps faibles de ces temps, autrement dit sur les contretemps. En effet, dans une mesure à quatre temps, chaque temps équivaut à un battement du pied, 1 et 3 étant forts, 2 et 4 étant faibles. Mais on peut parfaitement décomposer ces temps, ce qui donne, en swing, comme nous l’avons dit :

---a : 1---------2--------3--------4--------1--------2--------3--------4
---b : 1,2,3---1,2,3---1,2,3---1,2,3---1,2,3---1,2,3---1,2,3---1,2,3

Dans cette décomposition en trois, dite ternaire, (niveau b), les subdivisions 2 et 3 sont dites faibles, 1 étant fort, ce qui vaut indistinctement pour un temps fort ou un temps faible du niveau a. On devine les richesses rythmiques offertes par ces subdivisions raffinées. À l’aide de la caisse claire, qui occupe les temps faibles, il est théoriquement possible de placer sur dix endroits différents d’une seule mesure de quatre temps ! (Les subdivisions 2 et 3 du niveau b à raison de 4 temps, et les temps 2 et 4 du niveau a). Dans la pratique du jazz be bop, ternaire, on aura plutôt tendance à accentuer les subdivisions 3 (subtiles) sans renier les temps 2 et 4 du niveau a (évidentes).
Difficile ? Qu’à cela ne tienne ! Le but de cette explication, indépendamment d’une compréhension profonde, est de montrer les ressources dont dispose le batteur de jazz pour jouer avec le rythme, innover, créer la surprise, s’adapter aux développements rythmiques des autres musiciens, les relancer, leur offrir du répondant, leur donner des indications ou leur signaler sa version du morceau.
À ce jeu de mains se combinait bien entendu un jeu de pieds (grosse caisse, cymbales hi-hat) qui permettait également des éclairages rythmiques indépendants. Le grand art, pour un batteur, est de parvenir à diviser son cerveau en quatre, et jouer quatre rythmes ayant leur vie propre ; c’est ce que l’on nomme “polyrythmie”.
De ceci, dégageons deux éléments : le batteur (be bop entre autres) n’est vraiment pas “celui qui tape sur des caisses pour donner le rythme”. C’est un musicien dont le rôle est aussi important que celui des autres membres du combo, et l’écoute de son travail doit se faire avec une appréciation musicale égale à celle que l’on accorde aux autres instruments. D’ailleurs, dans le combo be bop, il n’y a pas de hiérarchie mais une association d’individualités.
La contrebasse, quant à elle, assure la continuité, tout en s’émancipant et en affirmant son individualité. Le piano (ou la guitare), à l’instar de la batterie, profite des possibilités temps/contretemps pour plaquer des accords souvent brefs et percussifs en jouant sur les rythmes, se préoccupant bien moins d’accompagnement qu’auparavant. Le soliste n’en a que plus de liberté, d’autant que les doublages, triplages et autres renforcements chers au swing ont disparu : on ne cherche plus le “gros son d’ensemble” mais la liberté individuelle. En cela, le Be bop fut une révolution.

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4. Petits conseils
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On vient d’en donner, en parlant de l’importance égale et individuelle de tous les musiciens : pour apprécier le Be bop, il faut en saisir l’immense énergie et la grande intelligence, grâce à des musiciens qui, somme toute, ne donnent pas dans la facilité... Aussi ne peut-on écouter le Bop comme on écouterait du New Orleans ou du Swing. Il faut être disponible et attentif. Il n’existe aucune possibilité de transformer le Be bop en musique de fond : s’y essayer ne peut conduire qu’à l’agacement, voire à l’irritation totale. Si vous n’arrêtez pas le lecteur, quelqu’un d’autre de votre entourage s’en chargera. Donc, installez-vous dans de bonnes conditions d’écoute, et accrochez-vous à l’un des instruments comme un wagon à la locomotive. Ensuite, réécoutez la même plage en changeant de locomotive.

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Références discographiques
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NB : La liste se limite aux années ‘40 et ‘50 , mais bon nombre de musiciens be bop continuèrent d’enregistrer cette musique ultérieurement. Notons aussi qu’à partir des années ‘50, beaucoup d’artistes se distingueront dans des styles différents au long de leur carrière. On ne s’étonnera donc pas de les voir également cités en d’autres endroits discographiques de ce texte.


BYAS, Don
Savoy Jam Party, 1944-1946
Living My Life, 1945-1946

CHRISTIAN, Charlie
The Genius Of The Electric Guitar, 1939-1941
Live Sessions At Minton’s Playhouse, New York, 1941

GILLESPIE, Dizzy
Groovin’ High, 1945-1946
Dee Gee Days, 1951-1952
The Champ, 1951-1952
Pleyel Concert, 1953
Diz And Getz, 1953-1954
The Verve Big-Band Sessions, 1956-1957
Sonny Side Up, 1957

JACKSON, Milt
Milt Jackson, 1948-1952
Jackson’s Ville, 1956
The Jazz Skyline, 1956

JOHNSON, J.J.
Mad Be Bop, 1946-1954
The Eminent -
Vol.1, 1953-1954
Vol.2, 1954-1955

MONK, Thelonious
Genius Of Modern Music -
Vol.1, 1947,
Vol.2, 1951-1952
Thelonious Monk / Sonny Rollins, 1953-1954
Monk, 1953-1954
Brilliant Corners, 1956
Thelonius Himself, 1957

NAVARRO, Fats
Fat Girl, 1946
Nostalgia, 1946-1947
The Fabulous -
Vol.1, 1947-1949
Vol.2, 1948

PARKER, Charlie
Bird Box -Vol.1, 1943-1950
The Complete Savoy Studio Sessions, 1944-1948
On Dial Completed, 1946-1947
Complete Dean Benedetti Recordings Of Charlie Parker,
I-Ii, 1947,
Iii-Iv, 1947,
V-Vii, 1947-1948
Bird At The Roost : The Savoy Years -
Vol.1, 1948
Vol.2, 1949
The Complete Charlie Parker On Verve -
Vol.1, 1946,
Vol.2, 1947-1949,
Vol.3, 1949,
Vol.4, 1949-1950, (etc. 10 volumes)

POWELL, Bud
The Bud Powell Trio Plays At The Roost, 1947-1953
The Amazing Bud Powell, 1949-1951

VAUGHAN, Sarah
After Hours With Sarah Vaughan, 1949-1953
16 Most Requested Songs, 1949-1953
The Essential Sarah Vaughan, 1949-1953
Lullaby Of Birdland [Sarah Vaughan With Clifford Brown], 1954
Swinging Easy, 1954-1957
The Rogers And Hart Songbook, 1954-1958
The Irving Berlin Songbook, 1957

 
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Que signifie “Cool” ?
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A. Contexte général

B. Caractéristiques musicales
1. 1. Les instruments
2. 2. L’organisation mélodique
3. 3. L’organisation rythmique
4. 4. Quelques conseils

Discographie
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A. Contexte général :
la première moitié des années 50
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La découpe en décennies est évidemment réductrice : l’articulation d’un style à l’autre ne correspond pas miraculeusement aux changements de décades. D’autre part, l’émergence d’un nouveau style ne signifie jamais la mort de l’ancien.
En l’occurrence, le Cool jazz s’élabore parallèlement au Be bop à son apogée, vers la fin des années ‘40, dans une Amérique confrontée à la guerre froide (USA - URSS). Grâce entre autres à une industrie pétrolière et automobile florissantes, un essor économique que l’on peut qualifier de relativement favorable participe aux développements culturels et aux possibilités de divertissement, grâce auxquelles Hollywood, par exemple, s’impose comme mégapole du cinéma. Ces développements et possibilités sont une aubaine pour les musiciens blancs, qui seront (pour une fois) les initiateurs du style nouveau, encore que la voie ait été considérablement ouverte par des musiciens noirs tels que
Lester Young ou Miles Davis. D’aucuns voient d’ailleurs en Miles, et en des musiciens tels que le pianiste John Lewis, les vrais chefs de file du Cool jazz.
Le Cool jazz réagit aux tensions introduites avec le Be bop par les musiciens noirs sous forme de contestation.
La contestation est d’autant moins dans l’air que le Maccarthysme (la chasse aux sorcières, c’est-à-dire aux communistes) bat son plein. L’originalité n’en est pas pourtant bannie.
On distingue parfois, parlant du Cool, entre l’East Coast et la West coast. Le pianiste
Lennie Tristano (Chicagoan émigré à New York) et ses émules (Lee Konitz, Warne Marsh, e.a.) représenteraient l’East coast tandis que le clarinettiste Woody Herman était, sur la West Coast, l’auteur d’un titre historique pour le développement du Cool jazz, intitulé “Four Brothers” (ces “quatre frères” étant les saxophonistes Zoot Sims, Stan Getz, Herbie Stewart, Serge Chaloff, l’arrangeur étant Jimmy Giuffre), enregistré en 1947...

La West coast, c’est Los Angeles et son industrie cinématographique, laquelle était gourmande en grands orchestres aptes à enregistrer la musique des films hollywoodiens, véritable foyer de musiciens de tout poil, rodés à la lecture de partitions, habitués aux grandes formations et aux arrangements conséquents. Mais que dire d’une distinction entre l’Est et l’Ouest dès l’instant où Miles Davis enregistra en 1949 à New York un album inspiré de Cool, avant de s’installer avec son band à Los Angeles, tandis qu’en 1949 également, Stan Getz passait de l’Est à l’Ouest...
La vraie différence entre l’Est et l’Ouest des États-Unis se manifestera plus tard, au milieu des années ‘50, lorsque les musiciens afro-américains de New York reprendront le flambeau d’un jazz à nouveau fougueux, rageur, contestataire et urgent : le Hard bop. Ceci fera l’objet du chapitre suivant. Pendant la première moitié des années ‘50, d’ailleurs, un style non Cool exista de manière plus discrète sans doute, mais bien présente, en tant que continuation et prolongements du Be bop.

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B. Caractéristiques musicales
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1. Les instruments

Une recherche d’originalité ou tout simplement de différence préside au choix des instruments constituant les bands. C’est ainsi que le Cool s’exprime aussi bien à travers des orchestres (ceux de l’arrangeur
Gil Evans, par exemple) que dans des nonettes, octettes, etc. Miles Davis constitua un nonette composé d’un saxophone alto, d’un saxophone baryton, d’une trompette, d’un trombone, d’un tuba, d’un cor, d’un piano, d’une contrebasse et d’une batterie. Les trois derniers instruments appartiennent bien sûr à la section rythmique traditionnelle. Le saxophone alto est un des saxophones les plus utilisés du Swing et du Bop (avec le ténor). De même pour la trompette. Par contre, le saxophone baryton et le trombone, hormis dans les grandes formations, étaient d’un usage moins fréquent. Et que dire du cor et du tuba ? (on n’avait plus utilisé ce dernier depuis le New Orleans - souvenez-vous). Nous sommes en présence d’amalgames sonores tout à fait nouveaux.
Ce nonette n’est qu’un exemple. On a vu intervenir dans le Cool jazz des instruments aussi inattendus que le hautbois, le basson, le violoncelle, etc. Et n’oublions pas le vibraphone : une sorte de xylophone, mais à lames métalliques, surmontant des tubes également métalliques, dans lesquels des plaquettes rotatives impriment au son une fluctuation cyclique. Le vibraphone, pour la douceur et la quiétude de la sonorité, s’imposa comme un véritable instrument Cool, notamment avec le
Modern Jazz Quartet.
Dans le Cool on sent, pour ce qui est du son, l’influence de la musique classique.

2. L’organisation mélodique et harmonique

Aucune raison que le Cool jazz, par excellence sophistiqué, se passe des innovations harmoniques apportées par le Be bop. Sur le plan mélodique, pas question non plus de renoncer à l’élargissement de l’espace d’improvisation. Le changement ne se situe pas là, mais bien dans l’esprit : qui dit Cool, dit recherche et respect de la mélodie, précision d’exécution, ciselage des notes et élégance du son.
D’autre part, l’esprit contrepointiste de la musique classique s’insinue dans les arrangements cool.
Expliquons ceci (en schématisant) : dans la musique classique, l’écriture baroque (18e siècle) et celles qui la précédèrent privilégièrent le contrepoint ; l’association de mélodies différentes jouées ensemble par les instruments ou les voix créait un tissu sonore continu, les phrases musicales avançant en parallèle et horizontalement. Ensuite se développa une conception de l’écriture privilégiant des successions de groupes de notes dits “accords”, c’est-à-dire une conception “verticale” de l’écriture.
Le même commentaire peut s’appliquer au passage du jazz New Orleans vers le Swing.
Mais avec le Cool, certains musiciens renouent avec l’esprit “horizontal” de l’écriture et la conception des phrases musicales parallèles qui en découle. Le pianiste John Lewis se lança même dans des études de contrepoint (l’écriture classique dont nous parlions plus haut) qu’il appliqua au jazz. Pas étonnant, dès lors, de le voir interpréter Jean-Sébastien Bach à la manière jazz...

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B. Caractéristiques musicales
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3. L’organisation rythmique

Ici, on observe un retour à la simplicité de l’époque Swing, ou plutôt à la transparence ; même si - sophistication oblige - le célèbre pianiste cool Dave Brubeck n’hésita pas à composer son
Take Five en cinq temps. Sans être une habitude du Cool jazz, ce procédé n’empêcha pas “Take Five” de se hisser dans les hit-parades jazz. Or, une rythmique à cinq temps allait à l’encontre de tous les réflexes pour nos oreilles occidentales accoutumées aux deux, trois et quatre temps. La raison pour laquelle “Take Five” pénétra les oreilles sans heurts est cette transparence rythmique très différente des polyrythmies complexes du Be bop. Qu’on soit en quatre temps, en cinq temps, ou en sept, peu importe puisque tous les temps sont exprimés. Avec légèreté, souplesse et décontraction, mais exprimés. Au point que les auditeurs non musiciens entendent un cinq temps sans se rendre compte de la subtilité du rythme, comme s’il s’agissait d’un quatre...

4. Quelques conseils

Le Cool jazz, pour avoir été diffusé dans les grandes surfaces d’alimentation en même temps que la muzak (grands orchestres de variétés à la manière de Caravelli), a souvent été considéré par les auditeurs non avertis comme “de la musique de...” - à vous de choisir le nom d’un grand magasin. Pour beaucoup d’oreilles encore, le seul son du vibraphone suffit à évoquer de sirupeuses musiques d’ambiance entrecoupées de communications de service...
Les spécialistes du jazz, eux, ont porté des coups au Cool jazz en en critiquant la froideur, le cérébralisme, la complaisance.
Pour en finir avec ces idées fausses, écoutez par exemple les albums de Miles Davis, période Cool, joyaux d’expression et de sensibilité musicales. Ensuite, passez aux autres musiciens en décidant que vous vous reposez les oreilles de la verve du Be bop dont vous vous êtes gorgé les oreilles.
Vous retrouverez exactement le goût que les musiciens et amateurs de jazz éprouvèrent pour la musique insouciante des années 48 à 54, et peu importe les connotations que véhiculent le vibraphone ou le cor d’harmonie ! Délectez-vous de l’intéressante intrusion dans le jazz d’instruments classiques, et savourez les arrangements magistraux d’un Gil Evans “revisitant” les grands classiques (dans tous les sens du terme, puisque les orchestrations d’Evans sont aussi bien des arrangements de standards de jazz, que l’adaptation d’un concerto de Rodrigo ou, plus tard, des variations sur la musique de Jimi Hendrix).

NB : l’attirance de certains musiciens de Cool jazz pour la musique classique donna lieu à des arrangements (par exemple le
Concierto de Aranjuez, de Rodrigo, cité ci-avant, écrit pour guitare et orchestre classique, adapté pour Miles Davis par l’arrangeur Gil Evans) ou à des compositions, tandis qu’inversement, quelques musiciens classiques se mettaient au jazz symphonique (par exemple l’Ebony Concerto du compositeur classique Igor Stravinsky, écrit pour le clarinettiste Woody Herman), etc...
Ce mouvement fut nommé “Third stream” ou “Troisième courant”.

Une remarquable anthologie, malheureusement non éditée en CD, permet d’entendre une pléiade de musiciens ayant contribué au Third stream : Charles Mingus, Duke Ellington, Lennie Tristano, John Lewis, Stan Kenton, Jeanne Lee, Ran Blake, George Russell, Bill Evans, Woody Herman... (Il s’agit du disque “Mirage : avant-garde & Third stream jazz, 1946-1961”).

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Références discographiques
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NB : nombreux sont les musiciens à s’être exprimés dans des styles de jazz différents, au long de leur carrière. C’est la raison pour laquelle des compléments de discographie apparaissent aux différents chapitres. L’exemple le plus frappant est celui de Miles Davis, que l’on retrouvera en tant que leader aussi bien dans le Cool, dans le Hard bop, dans la New thing, dans le Jazz-rock, que dans l’Acid jazz même ! (sans oublier qu’il fût aussi un musicien de Be-bop aux côtés de Charlie Parker notamment - bien que sous le nom de ce dernier...).


BAKER, Chet
My Funny Valentine, 1952
The Pacific Jazz Years, 1952-1957
Grey December, 1953-1955
Chet Baker And Crew, 1956
The Route, 1956
It Could Happen To You, 1958
Plays The Best Of Lerner And Loewe, 1959

BROOKMEYER, Bob
The Dual Role Of Bob Brookmeyer, 1954-1955

BRUBECK, Dave
Dave Brubeck / Paul Desmond, 1952-1954
Interchanges ‘54, 1954-1955
Jazz Impressions Of Eurasia, 1958
Great Concerts, 1958-1963
Time Out, 1959
Take Five, 1959

CHALOFF, Serge
The Fable Of Mabel, 1954

COHN, Al
Broadway, 1954

DAVIS, Miles
The Real Birth Of The Cool, 1948
Nonet 1948, Jam 1949
The Complete Birth Of The Cool, 1949-1950
Miles Ahead / Miles + 19, 1957

DESMOND, Paul
Quintet / Quartet, 1954-1956

GELLER, Herb
That Geller Feller, 1957
Stax Of Sax, 1958

GETZ, Stan
Prezervation, 1949-1950
Quartets, 1949-1950
The Complete Roost Sessions -Vol.1, 1950-1951
At Storyville, Vol.1 And 2, 1951
Pennies From Heaven, 1951
At Storyville - Vol. 1 And 2, 1951
Stan Getz Plays, 1952
At The Shrine, 1954

GIUFFRE, Jimmy
The Jimmy Giuffre, Vol.3, 1956-1957

HERMAN, Woody
(précurseur du Cool, bien avant les années ‘50)
Blowin’ Up A Storm, 1945-1947
Thundering Herds, 1945-1947
Keeper Of The Flame, 1948-1949

KONITZ, Lee
Subconscious -Lee, 1949-1950
Konitz Meets Mulligan, 1953
Inside Hi-Fi, 1956
The Real Lee Konitz, 1957
Very Cool, 1957

MODERN JAZZ QUARTET
Modern Jazz Quartet / Milt Jackson Quintet, 1952-1954
Django, 1954
Concorde, 1955
Live 1956
Pyramid, 1959-1960

MARIANO, Charlie
Boston All Stars, 1951-1953
Plays, 1953-1955
Quartet, 1954

MULLIGAN, Gerry
Complete Pacific Jazz And Capitol Recordings Of Gerry Mulligan, 1952-1953
The Best Of Gerry Mulligan Quartet With Chet Baker, 1952-1957
California Concerts - Vol.2, 1954
Immortal Concerts - Paris Salle Pleyel - June 1, 1954
Mainstream Special Edition, 1955-1956
Gerry Mulligan / Paul Desmond Quartet, 1957

PEPPER, Art
Early Art, 1956-1957
Modern Art, 1956-1957
Straight Life, 1953

ROGERS, Shorty
Short Stops, 1953
The Big Shorty Rogers Express, 1953-1956
Wherever The Five Winds Blow, 1956

SIMS, Zoot
Zoot !, 1956
Tenorly,1950-1953
Down Home, 1960
Either Way, 1961

TRISTANO, Lennie
Wow, 1950
Live In Toronto, 1952

WINDING, Kai
Kai Winding With J.j. Johnson, 1955


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Que signifie “Hard bop” et “Funky jazz” ?
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A. Contexte général

B. Caractéristiques musicales
1. 1. Les instruments
2. 2. L’organisation mélodique
3. 3. L’organisation rythmique

Discographie
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A. Contexte général :
la seconde moitié des années ‘50
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Action appelle réaction : le Cool jazz ne pouvait manquer de se voir opposer, après quelques années de musique lénifiante, un jazz tonique et basique, faisant appel aux vibrations profondes et fondamentales des musiciens afro-américains, véritable retour aux sources ou retour aux “roots” : le blues.
Attention : nous parlons de jazz. En disant “blues”, il ne s’agit donc pas de la musique de blues rural ou urbain dont on parlait au début, mais du blues en tant qu’esprit et en tant que structure.

L’esprit du blues qui anime le Funky jazz et le Hard bop, ce sont ces notes baissées ou non baissées, ce jeu autour d’elles qui remue l’âme (
les 3ème et 7ème notes ou “degrés” de la gamme sont baissées - et, voir note concernant le 5ème degré baissé). La structure, ce sont les cycles de 12 mesures décrits plus haut.
À propos d’âme, disons d’emblée que le jazz dont nous parlons ici fut nommé de diverses manières selon ses orientations. L’une d’elle,
fortement teintée de rhythm and blues et de gospel, identifie et rattache le mouvement de manière explicite au blues en tant que fondement historique de l’expression des musiciens afro-américains. Et donc en tant qu’expression de leur âme, justement, dont “soul” est le mot anglais. D’où l’appellation “Soul jazz”, mais “Funky jazz” fut principalement utilisé, où “funky” signifie “sale”, “non bourgeois”.
Rappelons que le blues et le gospel sont à l’origine des divers développements de la musique afro-américaine.
Or, on disait aussi que les musiciens Be bop avaient remis le blues à l’honneur, en tant que structure, non sans y appliquer de grandes innovations de langage qui le transformaient radicalement sur les plans mélodique et harmonique. Les musiciens de “Hard bop” poursuivent cette voie, avec une maîtrise nouvelle.
Voilà donc deux orientations, entre lesquelles les frontières ne sont pas toujours nettes (remarque qui vaut pour toutes les étiquettes en matière d’art).

Attention aux confusions : on parle ici de Soul jazz et de Funky jazz, mais la “Soul music” et la “Funky music” sont des genres à part entière, issus eux aussi du Blues et du Gospel (à travers le Rhythm’n’Blues), incarnés par des musiciens tels que Ray Charles, Aretha Franklin, les Temptations, les Commodores, Chic, les Crusaders, Diana Ross, Marvin Gaye, Chaka Khan, Curtis Mayfield, Donna Summer, Tina Turner, Prince, George Clinton... - la liste est longue, nous ne citons ici que quelques musiciens.

Autre possibilité de confusion : certains courants tels que le “Hip hop” ou le “Trip hop” (pour ne pas parler du Rap) intègrent souvent des éléments de jazz (sous forme de citations, d’emprunts appelés “échantillons” ou “samplings”), tout en s’exprimant dans un langage soul ou funky, et l’on entend souvent des auditeurs non avertis parler de “jazz” pour désigner ces musiques...

Notons enfin que l’influence du gospel sur le jazz donna lieu, aussi, au terme “Churchy music” (church = église), en rapport avec le Soul jazz.
Nous en resterons donc au terme “Hard bop” (“Bop dur”) pour ce qui concerne les prolongateurs du Be bop redécouvrant le blues, et au terme “Funky jazz” pour ce qui est des musiciens influencés à la fois par le blues et par le gospel (avec en sus le “feedback” du rhythm and blues).
Précisons quelque peu le contexte politique et social des USA : un nouveau président (Eisenhower), la fin de la guerre de Corée, la détente avec l’URSS, la fin de la “chasse aux sorcières”, les dispositions anti-racistes enfin prises pour diminuer un tant soit peu l’inégalité, l’action de mouvements afro-américains pour tenter de la diminuer plus radicalement (Martin Luther King, les Black Muslims)... Les trois derniers points ne pouvaient que contribuer à l’émergence d’une expression nouvelle.

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B. Caractéristiques musicales
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1. Les instruments

Avec le retour à l’esprit du Bop, on voit réapparaître le quintette jazz par excellence : saxophone ténor, trompette, piano, contrebasse, batterie... Bien entendu, d’autres formules existaient où intervenaient le saxophone alto, le trombone, ou même la flûte, la clarinette...
Un instrument nouveau fait son apparition, côté Funky jazz : l’orgue électrique.

2. L’organisation mélodique et harmonique

Retour à l’esprit Be bop, encore : les musiciens Hard bop improvisent sur les accords sans se préoccuper du thème. Ils le jouent donc en début et en fin de morceau, mais on n’en retrouve rien au sein des improvisations. Les improvisations des musiciens de Funky jazz sont généralement plus simples, mélodiquement et rythmiquement, que celles des Hard boppers.
Un jeu plus staccato (attaque de chaque note séparément), rendu possible par des tempos moins rapides (tempo = vitesse de battement du pied) remplace en maints endroits, lors des improvisations, le style legato (dans les improvisations Be bop, les notes étaient soudées entre elles comme les anneaux d’une chaîne). Se développe ainsi l’art du contraste et de l’écart, procédés expressionnistes ne reculant pas devant l’âpreté ou la dureté : on dit haut et fort ce que l’on pense, de la même manière que l’on clame son appartenance à la communauté afro-américaine et aux Black Muslims.
La base harmonique demeure complexe chez les Hard boppers, mais les recherches expressives sont basées sur un discours plus direct, débarrassé de virtuosités démonstratives, efficace et essentiel. Chez les musiciens de Funky jazz, l’inspiration, empreinte de blues et de gospel, non seulement sur le plan structurel mais aussi du point de vue mélodique, maintient le musicien dans un contexte plus “populaire”. (Le jazz se gagne ainsi une partie du grand public, engagé sur les voies du Rhythm’n’blues, du Rock’n’roll et bientôt de la Soul et du Rock - les Beatles ne sont pas loin).

3. L’organisation rythmique

On se souvient de la richesse et de la complexité des rythmes be bop. Elles sont perpétuées par les musiciens de Hard bop, polyrythmiciens chevronnés. Mais en ce qui concerne les musiciens de Funky jazz, le contexte plus “populaire” dont nous venons de parler conduit le musicien à un jeu rythmique plus direct, d’où un retour à des contretemps fortement marqués, tendant au “groove” (mécanique rythmique particulièrement dansante - avant, on parlait de “bounce” ).
Dans le Hard bop, des éléments rythmiques forts se faisaient entendre aussi : le batteur, grâce à de brefs roulements de caisse claire particulièrement explosifs et judicieusement placés (on dit “explosions” ou “pains”), relançait à merveille l’énergie des musiciens. Le contrebassiste quant à lui utilise pour jouer de son instrument une technique très percussive nommée “slap” ou “slapping”, consistant à tirer très fort sur les cordes afin qu’au moment où on les lâche, elles rebondissent sur la touche (cette latte noire au-dessus de laquelle sont tendues les cordes). Le claquement qui en résulte est très efficace en tant qu’élément expressif de rythme.

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Références discographiques
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NB : Je ne vous réexplique plus le pourquoi des compléments de discographie qui apparaissent.


ADDERLEY, Julian Cannonball
Presenting “Cannonball”, 1955
Things Are Going Better, 1958
Cannonball’s Sharpshooters, 1958
Somethin’ Else, 1858
Cannonball Adderley In San Francisco, 1959
Cannonball And Coltrane, 1959
At The Lighthouse, 1960

ADDERLEY, Nat
That’s Nat, 1955
Work Song, 1960
In The Bag, 1962

BLAKEY, Art
A Night At Birdland -
Vol.1, 1954,
Vol.2, 1954
Hard Bop, 1956
With Thelonius Monk, 1957
Moanin’, 1958
A Night In Tunisia, 1960
Mosaic, 1961

BROWN, Clifford
The Clifford Brown Quartet In Paris, 1953
The Complete Emarcy Recordings -
Vol.1 To 4, 1954
Vol.5 To 7, 1954

BURRELL, Kenny
All Day Long, 1957
Midnight Blue, 1963

BYRD, Donald
All Night Long, 1956
Fuego, 1959

COLTRANE, John
Blue Train, 1957
Soultrane, 1958
Coltrane Time, 1958
Giant Steps, 1959
Coltrane Jazz, 1959-1960
My Favorite Things, 1960
Coltrane’s Sound, 1960
Coltrane Plays The Blues, 1960
Ole, 1961
Africa Brass, 1961

DAVIS, Miles
Volume 1, 1952-1954
Volume 2, 1953
Bag’s Groove
Walkin’, 1954
‘Round About Midnight, 1955-1956
Workin’ With The Miles Davis Quintet, 1956
Relaxin’ With The Miles Davis Quintet, 1956
‘58 Sessions Featuring Stella By Starlight, 1958
Milestones, 1958
Kind Of Blue, 1959

DONALDSON, Lou
Blues Walk, 1958

EVANS, Bill
Everybody Digs Bill Evans, 1958
Portrait In Jazz, 1959
Waltz For Debby, 1961
Sunday At The Village Vanguard, 1961

EVANS, Gil
Great Jazz Standards, 1959
Out Of The Cool, 1961

FLANAGAN, Tommy
The Complete Overseas, 1957

FULLER, Curtis
Blues-Ette, 1959
Imagination, 1959
Jazz... It’s Magic, 1957

GOLSON, Benny
New York Scene, 1957
Groovin’ With Golson, 1959

GORDON, Dexter
Dexter Blows Hot And Cool, 1955
Doin’ Allright, 1961
Dexter Calling, 1961

GRIFFIN, Johnny
Introducing Johnny Griffin, 1956
Little Giant, 1959

HUBBARD, Freddie
Minor Mishap, 1961
Hub-Tones, 1962

JACKSON, Milt
Bags Meets Wes, 1961

JOHNSON, J.J.
Dial J.j. 5, 1957
Live At The Cafe Bohemia, 1957

JONES, Quincy
This Is How I Feel About Jazz, 1956

JONES, Thad
The Fabulous, 1954-1955
The Magnificent, 1956

KIRK, Roland
Domino, 1962

McLEAN, Jackie
Makin’ The Change, 1957
New Soil, 1959

MINGUS, Charles
Mingus At The Bohemia, 1955
Pithecantropus Erectus, 1956
New Tijuana Moods, 1957
New York Sketchbook, 1957
The Clown, 1957
Blues & Roots, 1959
Mingus At Antibes, 1960

MOBLEY, Hank
Quintet, 1957
Soul Station, 1960

MONTGOMERY, Wes
Far Wes, 1958-1959
The Incredible Jazz Guitar Of Wes Montgomery, 1960
So Much Guitar !, 1961

MORGAN, Lee
Introducing Lee Morgan, 1956
Candy Lee, 1957-1958

ROACH, Max
Max Roach Plus Four, 1956
Jazz In 3/4 Time, 1956-1957
Deeds, Not Words, 1958
We Insist ! Freedom Now Suite, 1960
Percussion Bitter Sweet, 1961
Speak, Brother, Speak !, 1962

ROLLINS, Sonny
Sonny Rollins Plus Four, 1956
Sonny Rollins - Vol.1, 1956
Tour De Force, 1956
Tenor Madness, 1956
a Night At The Village Vanguard,
Vol.1, 1957
Vol.2, 1957
Way Out West, 1957
Freedom Suite, 1958

SILVER, Horace
Horace Silver And The Jazz Messengers, 1954-1955
Silver’s Blue, 1956
Six Pieces Of Silver, 1956-1958
Blowin’ The Blues Away, 1959

SMITH, Jimmy
The Sermon, 1957-1958
Prayer Meetin’, 1960-1963

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