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Le

       
 

 

Chapitre I

         
par Dylan Cotton 
 


Que signifie le mot jazz ?
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Voici plusieurs hypothèses :
— “jazz” viendrait de “jass” qui en vieil anglais serait assimilable à “chass”, signifiant “chasse”, “poursuite”. Notons que, dans le premier style de jazz, nommé “New Orleans”, les musiciens poursuivaient chacun une voie mélodique jouée en parallèle avec les autres ;
— “jass” serait une altération de “jasm”, traduisible par “vitalité”, “énergie”. La dynamique toute particulière du jazz es
t évidemment l’une de ses principales caractéristiques ;
— “jass” serait dérivé de “chasse”, un pas de danse condamné par les puritains. Ceci peut symboliser l’indiscutable aspect contestataire du jazz d’une part, et son rapport à la sensualité d’autre part ;
— “jass” serait issu de “jasbo”, signifiant “minstrel” (ménestrel) ; il faut savoir qu’on appelait “minstrels” des chanteurs blancs qui, au XIXème siècle, se barbouillaient le visage de cirage et imitaient le répertoire des chanteurs noirs ;
— “jass” serait lié au mot français “jaser” (bavarder). Comme dit plus haut à propos du New Orleans, les musiciens jouaient simultanément des mélodies différentes. Un discours multiple, autrement dit. Voilà qui peut ressembler à un bavardage de café du commerce ou de place publique. L’improvisation s’inscrit sans difficulté dans ce contexte ;
— “jass” désignerait en argot d’Afrique occidentale l’acte sexuel ; le mot se serait étendu à la musique de jazz dans la mesure où celle-ci se jouait beaucoup dans les multiples maisons closes de La Nouvelle-Orléans. Pratique pour pratique...
Quelle que soit la bonne interprétation, retenons que plusieurs termes paraissent convenir à l’esprit du jazz :
discours multiple / expression instantanée (improvisation),
énergie / vitalité (rythme),
contestation / protestation (exacerbation).


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Quelles sont les caractéristiques du jazz ?
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A. L’improvisation, les gammes, les accords
Références discographiques
— 1. Quelques blues
— 2. Quelques standards
B. Le rythme
C. Le son
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A. L’improvisation, les gammes, les accords
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Une des grandes différences entre la musique classique et le jazz est l’improvisation. La musique classique repose sur l’écriture sans laquelle elle n’existerait pas. Quelques exceptions confirment cette règle : les cadences de concertos, autrefois improvisées, l’harmonisation de basses continues dans la musique baroque, les improvisations à l’orgue... Mais c’est peu de chose par rapport au jazz où l’improvisation est la caractéristique compositionnelle, les “thèmes” (mélodies) - convenus ou écrits - représentant uniquement la carte d’identité du morceau. Le jazz se réfère en effet à des thèmes qui, joués sur des trames harmoniques, donnent libre cours à l’invention.
Voici deux autres formulations de ce principe fondamental :
— une mélodie est jouée sur un certain nombre d’accords (groupes de notes) qui en sont l’accompagnement. Après, sur les mêmes accords, on invente d’autres lignes mélodiques, on improvise ;
— plus concret encore : on peut chanter une chanson en s’accompagnant d’une guitare pour ensuite (donc après avoir fait entendre la mélodie principale de cette chanson) se plaire à inventer sur les mêmes accords que l’accompagnement les mélodies que l’on veut (autrement dit : dont on a l’inspiration au moment même).
En jazz, on nomme la succession des accords “grille d’accords”, la mélodie principale étant appelée “thème” et les lignes mélodiques inventées ayant pour nom “improvisation”.
Le fonctionnement du jazz n’est pas plus compliqué que celui décrit dans cet exemple concret. À première vue... car ce petit jeu peut aller très loin et devenir une véritable science. En effet, des thèmes très sophistiqués et des grilles d’accords très complexes donnent au jazz une dimension “savante” incontestable, même si l’origine de cette musique est profondément populaire. Aujourd’hui, de plus en plus de musiciens de jazz apprennent leur métier dans des écoles et des universités spécialement orientées vers ce style de musique - pas tous, heureusement ! Bien entendu, ce n’est pas la complexité qui fait l’art mais l’expression, et le jazz en regorge.

Reprenons notre explication sur le fonctionnement du jazz. La majorité des morceaux de jazz (en tout cas jusqu’aux années ‘60) se structurent selon le schéma thème - improvisation(s) - thème.
L’improvisation sur les différents accords fait appel à une panoplie de gammes alors que la musique classique, jusqu’à la fin du XIXème siècle, s’est polarisée autour d’une gamme majeure et deux mineures. Par “gamme”, il faut entendre tout simplement “les notes qui s’adaptent à chaque instant à l’accompagnement”, c’est-à-dire aux différents accords.
La plupart d’entre nous ont vécu l’expérience de chantonner sur un accompagnement (de guitare ou autre) et de s’égarer dans des fausses notes. Tout simplement parce que l’on ne s’attendait pas à certains changements dans l’accompagnement.
C’est la raison pour laquelle le musicien de jazz, avant d’improviser, écoute attentivement la succession des différents accords et la mémorise. À partir d’un certain niveau de complexité, il aura recours à l’écriture, uniquement pour noter dans l’ordre le nom des différents accords se succédant dans le morceau, grâce à un code appelé “chiffrage des accords”. (Il s’agit donc d’un mémo).

Une gamme est généralement constituée d’un choix de sept notes parmi les douze disponibles. Mais certaines gammes comportent moins de sept notes, comme la gamme dite “par tons”, qui contient six notes, ou les gammes pentatoniques (cinq notes). Elles peuvent aussi en comporter plus, le maximum (en Occident) étant atteint par la gamme chromatique (douze notes). Mais à part une technique développée dans la musique classique du XXème siècle et appelée “dodécaphonisme”, l’utilisation de la gamme chromatique complète est rare. Un exemple, néanmoins ? “Toys” de Herbie Hancock - encore qu’il s’agisse du thème et non d’une improvisation.
Comme déjà dit, le musicien improvise en utilisant les différentes gammes en fonction des accords qui se succèdent dans le morceau. Il choisit ses notes au sein d’une gamme (envisageons une gamme blues en do = do, mi bémol, fa, sol, si bémol) et il joue par exemple : do, mi bémol, do, mi bémol, fa, sol, si bémol, sol, fa, mi bémol, do, etc... jusqu’à ce qu’un autre accord le conduise à changer de gamme.
Disons de la gamme blues en do, par rapport à la gamme de do majeur bien connue (do - ré - mi - fa - sol - la - si) que certaines notes sont baissées (sonnent plus bas) par l’utilisation d’un “bémol”. Il s’agit (dans une gamme en do) des notes mi et si, respectivement situées sur les 3ème et 7ème degrés. Les blue notes, en français les notes bleues, correspondent donc aux 3ème et 7ème notes baissées. La couleur sonore de la gamme blues en do est pour cette simple raison très différente de la gamme de do majeur. Il en va ainsi de multiples autres gammes, dont certaines notes sont, par rapport à la gamme majeure, baissées et même haussées, ce qui offre pas mal de combinaisons. (Les bémols, bécarres et dièses se nomment “altérations”. Ils modifient une note à concurrence d’un demi-ton).
Le musicien, lorsqu’il improvise, choisit ses notes parmi chacune des gammes qui “conviennent” aux accords joués par le pianiste, autrement dit parmi les gammes qui “sonnent” bien avec ces accords. Il s’agit de l’improvisation dite “chorus”. Il est important de préciser, cependant, que l’improvisation prit son essor sur des bases moins complexes, à savoir que les musiciens des débuts du jazz improvisaient en “paraphrasant”. Autrement dit, il rejouaient le thème du morceau (la mélodie qui lui donne son identité) en lui apportant toutes sortes de modifications, de variations et d’ornementations, mais sans le transformer radicalement.
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Références discographiques :
1. Quelques Blues
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Voici quelques grands blues interprétés par des jazzmen (des références de blues hors du contexte jazz seront données plus loin). Il n’est pas nécessaire de tout écouter, mais comparer deux ou trois interprétations peut déjà révéler bien des choses...


After you’ve gone :
Sarah Vaughan with Count Basie and Benny Carter
Benny Goodman and his orchestra
Art Tatum : Complete trio session - vol.1
Lester Young : Lester Amadeus
Lou Donaldson : Quartet / Quintet / Sextet
Coleman Hawkins :Live in Europe 1934-1939
Django Reinhardt : Djangology 49
Shirley Horn : Loads of love
Zoot Sims and Al Cohn : Zoot case
Roy Eldridge : After you’ve gone
Fats Waller :Yacht club swing 1938
Sonny Stitt : Kaleidoscope

Squeeze me :
Louis Armstrong : Complete edition - vol.7 - 1925
Paul Desmond : Pure Desmond
Archie Shepp : Lover man
Fats Waller : Classic jazz from rare piano rolls
Willie the Lion Smith : Echoes of spring
James P. Johnson : Snowy morning blues
Hank Jones : The handful of keys
Earl Hines : Here comes Earl / Spontaneous explorations
Lena Horne : An evening with Lena

St. Louis blues :
Louis Armstrong : What a wonderful world
Count Basie and his orchestra : Complete edition - vol. 4 - 1937
Duke Ellington and his orchestra : Complete edition - vol.5 - 1928
Charlie Parker : Bird’s eye - vol.16
Billie Holiday : Lady day
Cab Calloway and the Missourians : 1929-1930
Dizzy Gillespie : Dizzier and dizzier
Clark Terry : Shades of blues
Benny Goodman : On the air [1937-1938]
Ray Brown : Some of my best friends are... the piano players
John Lewis : Solo / duo with Hank Jones

West end blues :
Louis Armstrong : 1928-1931
Jelly Roll Morton : Red Hot Peppers, New Orleans Jazzmen & trios
King Oliver : Complete Vocalion/Brunswick recordings 1926-1931
Charlie Parker : Bird’s eyes - vol.24
Cootie Williams : Sextet and big band 1941-1944
Sidney Bechet : Hold tight
Ethel Waters : 1926-1929

Blues in the night :
Louis Armstrong : The silver collection - Louis Armstrong meets Oscar Peterson
Benny Goodman : Small groups - 1941-1945
Woody Herman : Blues on parade
Ella Fitzgerald : Ella swings lightly
Earl Hines : The one for my baby
Bud Shank [sextet] : Plays Harold Arlen
Jimmie Lunceford : Blues in the night - 1935-1944
Cal Tjader : Jazz at the Blackhawk
Quincy Jones and his orchestra : Quincy plays for pussycats

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Références discographiques :
2. Quelques standards
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Stella by starlight :
Dizzy Gillespie : Groovin’ high
Art Blakey and the Jazz Messengers : The Jazz Messengers
Chet Baker : Burnin’ at Backstreet
Freddie Hubbard : Back to Birdland
Milt Jackson : Jackson
Oscar Peterson : Mitsy
Lee Konitz and Hal Galper : Windows
Ella Fitzgerald : Clap hands, here comes Charlie
Stan Getz : Highlights
Bud Powell : Bud Powell trio plays [at the Roost]
Al Cohn / Scott Hamilton : Tour de force
Charlie Mariano : It’s standard time, vol.1

Body and soul :
David Murray : Morning song
Mal Waldron : Mal 81
Sarah Vaughan : The complete Sarah Vaughan on Mercury, vol.1
Maynard Ferguson : Body and soul
Paul Desmond : Late lament
Sonny Stitt : Good life
Thelonious Monk : Monk’s dream
Earl Hines : Hine’s tune
Red Mitchell : Home suite
Chet Baker : Sings again
Ernie Watts : Ernie Watts quartet
Art Tatum : The complete trio sessions, vol.1
Woody Herman : The sound of jazz
Coleman Hawkins : Big band 1940

What is this thing called love :
Clifford Brown : Jam session
Lee Konitz : Jazz at Juan
Art Pepper : Among friends
Erroll Garner : Erroll’s a-Garner
Sarah Vaughan : The complete Sarah Vaughan on Mercury, vol.4
Helen Merrill : Cole Porter album
Charles Mingus : What is this thing called love
Gerry Mulligan : Gerry Mulligan meets Ben Webster
Abdullah Ibrahim : The dream
Charlie Parker : At Carnegie Hall 1949-1950
J.J. Johnson : Jay and Kai
Dinah Washington : Dinah !
Dave Brubeck : The Dave Brubeck octet

All the things you are :
Keith Jarrett : Standards, vol.1
David Murray : Children
Ella Fitzgerald : The Jerome Kern Songbook
Paul Bley : My standard
Tommy Flanagan : You’re me
Milt Jackson : Modern Jazz Quartet / Milt Jackson Quintet
Dizzy Gillespie : Shaw’nuff
Benny Goodman : Benny rides again !
Dexter Gordon : After hours
Duke Jordan : The great session
Joe Henderson : State of the tenor, vol.2
Helen Merrill : Jerome Kern album

A night in Tunisia :
Art Blakey and the Jazz Messengers : A night at Birdland, vol.1
Count Basie : Way-out Basie
Miles Davis : The musing of Miles
Ella Fitzgerald : Clap hands, here comes Charlie
Ray Bryant : Trio
Jimmy Smith : Crazy ! Baby
Art Pepper : A night in Tunisia
Dizzy Gillespie : Groovin’ high
Charlie Parker : Bird’s eyes - vol.5-6
Max Roach : As long as you’re living
Ella Fitzgerald : First lady of song
Chet Baker : This is always

I’ll remember april :
Clifford Brown : At Basin street
Benny Golson : Time speaks
Julian Cannonball Adderley : Cannonball’s sharpshooters
Hank Jones : The great jazz trio : threesome
Charles Mingus : Mingus at Antibes
Sarah Vaughan : Live in Japan, vol.1
Art Pepper : Among friends
Miles Davis : Miles Davis, vol.2
Bud Powell : Bud Powell Trio plays [at the roost]
Gerry Mulligan : The complete Pacific Jazz recordings
Charlie Parker : Bird Box, vol. 10 to 12
Sarah Vaughan : The complete Sarah Vaughan live in Japan
Thad Jones : The fabulous

Round midnight :
Chet Baker : Chet Baker 79
Abdullah Ibrahim : Matsidiso
Dave Liebman : Double edge
Dizzy Gillespie : Meets Phil Woods Quintet
Betty Carter : ‘Round midnight
Mc Coy Tyner : Live at Sweet Basil, vol.1
Miles Davis : Mellow Miles
Cassandra Wilson : After the beginning again
Stan Getz : Sweetie pie
Joe Henderson : The standard Joe
Red Rodney : Bird lives !
Oscar Peterson : Freedom song

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B. Le rythme
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La clé du rythme, pour une grande partie du jazz, et son essence même, c’est le swing.

Comment expliquer le rythme appelé “swing” hors du contexte jazz ? Difficile, mais tentez quand même une comparaison avec le principe rythmique de la valse. Vous aurez une vague idée de ce que signifie le mot “swing”, malgré qu’il ne soit pas applicable à la musique classique.
Vous savez que l’on peut compter 1, 2, 3 - 1, 2, 3 tout au long de la valse (c’est ce qu’on appelle “les temps”, d’où le pléonasme “valse à 3 temps”). En jazz on compte 1, 2, 3, 4 - 1, 2, 3, 4 (on joue en quatre temps) mais chaque temps est subdivisé en trois, ce qui donne :

---1----------2---------3--------- 4---------1----------2---------3----------4 etc.
---1, 2, 3---1, 2, 3---1, 2, 3---1, 2, 3---1, 2, 3---1, 2, 3---1, 2, 3---1, 2, 3
 
---(En musique classique, on parlerait de 6/8 au lieu de 3/4).

La base du swing consiste à jouer une note longue suivie d’une courte, 1 et 2 N’ÉTANT QU’UNE SEULE NOTE AYANT LE DOUBLE DE DURÉE DE CELLE QUI SUIT (3). Autrement dit : “dooo - be - dooo - be - dooo - be - dooo....”
Notons au passage que “dooo” et “be” - prononcés “dou” (long) et “bi” (bref) - sont des onomatopées typiques du scat, c’est-à-dire des syllabes que les chanteurs de jazz appliquaient aux notes pour improviser sans contrainte de paroles.
D’aucuns interprètent ce rapport et cette succession longue/courte - longue/courte en termes psychologiques de tension (longue) / détente (courte). D’où l’adéquation du rythme “swing” avec la danse, et la fascination qu’il exerce.
À noter toutefois une différence subtile mais catégorique entre la ternarité classique et la ternarité jazz : les musiciens joueront différemment, dans chacun des styles, une même alternance longue-courte.
Ainsi, le musicien américain Wynton Marsalis, qui a réalisé quelques enregistrements de musique classique, ne joue-t-il pas un rythme ternaire de la même manière lorsqu’il interprète “Embraceable you” (morceau de Gershwin passé au rang des grands classiques du jazz dits “standards”) et lorsqu’il joue le “largo” du concerto pour trompette de Johann Fasch (écrit en ternaire).

Que le jazz soit autant favorable à la danse le rapproche de ses origines, et en particulier de cette aptitude très africaine à l’exacerbation, voire à la transe, qui donne aux danseurs leur énergie toute particulière. Les fondements du swing sont là. Et aussi d’autres caractéristiques du jazz, plus générales, liées à la sensualité, autant qu’à l’humour et au désespoir (le blues...).
Musique nègre, écrit Gide dans ses Feuilles de Route en 1896, que de fois je me suis levé de mon travail pour l’entendre... À trois, ils exécutent de véritables morceaux de rythme, bizarrement haché de syncopes, qui affole et provoque les bondissements de la chair”.
D’autre part, la musique traditionnelle africaine fait usage fréquent de “polyrythmies”, autrement dit : l’utilisation simultanée de structures rythmiques très différentes les unes des autres (procédé qui n’a été appliqué à la musique classique qu’au XXème siècle). Ces polyrythmies sont à l’origine de musiques extrêmement riches.

Mais revenons à l’influence de la musique classique : ce n’est pas innocemment que je faisais un parallèle a priori impossible entre une valse et un morceau de jazz. D’abord, il faut remarquer que la valse fut une danse de salon très populaire, grâce à sa ternarité, très entraînante et attractive. Ensuite parce qu’il est certain que les musiciens afro-américains, qui furent les inventeurs du jazz, eurent un contact auditif avec la valse par l’intermédiaire des maîtres blancs qui les soumettaient à l’esclavage ou les employaient (esclaves émancipés). Plus loin nous approfondirons le sujet des influences - qui sont loin d’être limitées à la valse : il ne faut surtout pas voir dans cette forme musicale l’origine “blanche” du swing. Le swing résulte de la fusion d’une multiplicité de facteurs, sur lesquels nous reviendrons.
On parlera, plus bas également, d’autres caractéristiques rythmiques, spécifiques à chacun des différents styles de jazz. Et aussi d’un certain jazz “binaire” des années ‘70 et suivantes, qui ne fait pas appel au swing. Suivi du “groove” acid jazz dans les années ‘90. Précédé des arythmies (“absence” de rythme) et polyrythmies (simultanéité de rythmes indépendants) de la New thing des années ‘60. N’allons pas trop vite...
Par contre, citons dès à présent cette célèbre remarque du pianiste de jazz Jelly Roll Morton : “Le jazz est un style, non une composition. N’importe quelle musique peut être interprétée en jazz, du moment qu’on sait s’y prendre. Ce n’est pas ce que vous jouez qui compte mais la façon dont vous le jouez”.
Ci-dessous, quelques titres qui contribueront à évaluer le bien-fondé des propos de Jelly Roll, sans doute exagérés si ce n’est sous l’angle rythmique. Par ailleurs, un titre de Duke Ellington est demeuré célèbre : “It don’t mean a thing if it ain’t got that swing”, autrement dit : “Ce que vous jouez ne signifie rien [sous-entendu : en jazz ] si vous n’y mettez pas du swing”...

---Swingle Singers : Jazz-Sebastien Bach
---Anyone for Mozart, Bach, Vivaldi ?
---John Lewis : J.S. Bach Preludes and fugues
---Jacques Loussier : Jacques Loussier plays Bach’s Brandenburg concerto n°5

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C. Le son
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Le jazz, appelé à devenir aussi “savant” que l’est la musique classique - disons aussi “techniquement élaboré” - a ouvert un univers sonore totalement nouveau. Si les instruments classiques sont utilisés en jazz, la manière d’en jouer, de produire les sons, est passablement différente. La recherche de l’attaque parfaite (commencer la note le plus exactement possible), de la justesse parfaite (aborder et maintenir la note la plus exacte possible), de la tenue parfaite (sitôt émise, la note doit rester la plus “droite” possible, hormis un type de vibration - “vibrato” - spécifique autorisé), tout cela n’a pas cours en jazz. (Ce qui ne veut pas dire que les musiciens jouent n’importe comment, bien au contraire !). L’expression compte avant tout, et beaucoup de musiciens de jazz commettront expressément (expressivement, dirions-nous) des “erreurs”, consistant notamment à :
— amorcer une note un peu en-dessous ou (plus rare) au-dessus du ton juste ;
— ne pas émettre cette note clairement (bruit de souffle) ;
— appliquer aux notes une “ondulation” plus ou moins rapide (appelée “vibrato”), mais aussi des vibrations fortes (“shakes”) ou des glissandos (particulièrement au trombone à coulisse) et autres effets tels que le “growl” consistant à jouer les sons de manière rauque. Certains saxophonistes, trompettistes et surtout trombonistes ou joueurs de tuba chantent en même temps qu’ils soufflent dans leur instrument ; il en résulte des sonorités harmoniques nouvelles ;
— il y a encore l’utilisation d’adjuvants comme les sourdines (cônes ou chapeaux) introduits dans les pavillons des trompettes et trombones pour en changer la sonorité ;
— l’“overblowing” est une technique par laquelle, comme le nom l’indique, le musicien souffle plus fort que nécessaire dans son instrument (trompette et trombone particulièrement), créant un effet de saturation ;
— la saturation est également un effet utilisé à partir des années ‘60 par les guitaristes, effet d’abord obtenu en poussant l’amplificateur (à lampes) au-delà de ses limites, et plus tard en utilisant les boîtes d’effets ad hoc (distorsion) ; une autre boîte, appelée wah-wah et montée sur pédale, permit aux guitaristes d’agir sur le son sous forme de modulations (l’onomatopée “wah-wah” en est probablement la meilleure représentation verbale...) ;
— toutes sortes d’effets électroniques furent appliqués à partir des années ‘60 à d’autres instruments que la guitare, qu’il s’agisse de distorsion, de wah-wah, d’écho (delay), etc. ;
— enfin, outre le son en soi, le jazzman se distingue également par la manière dont il articule les différentes notes les unes à la suite des autres. Ceci s’appelle le “phrasé” et constitue un élément primordial du jazz, contribuant grandement à l’identification de différents styles de jeu selon les musiciens.
Ce sont tous ces éléments qui permettent au connaisseur en jazz de reconnaître un jazzman d’un autre, quand bien même ne l’a-t-il jamais entendu, préalablement, jouer le morceau qu’il joue. (Ceci n’est guère aussi fréquent en interprétation classique. Notons au passage que la musique classique s’ouvrit elle aussi à de nouvelles sonorités grâce à la musique nouvelle, au cours du XXème siècle).


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A. Qui a inventé le jazz ?
B. Les sources

Références discographiques
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A. Qui a inventé le jazz ?
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À cette question volontairement naïve, on peut répondre tout d’abord de manière lapidaire : les inventeurs du jazz sont des Africains déportés en Amérique, autrement dit des Afro-américains.
Cela dit, il est amusant de savoir que plusieurs jazzmen des débuts se couronnèrent eux-mêmes du titre d’“inventeur du jazz”. Vanité ou cabotinage ? En tout cas les premières formes de jazz doivent-elles être recherchées vers la fin du XIXème siècle où s’affirme peu à peu une musique nouvelle, issue d’une lente macération de différents ingrédients. Voici lesquels :
— Dès le XVIIème siècle, 200.000 Africains sont déportés sur le continent américain pour y être soumis à l’esclavage. Trois siècles plus tard, ils seront des millions. À partir de ce moment, la pratique musicale des Africains, si étouffée soit-elle par les Blancs, va néanmoins s’exercer et connaître l’influence de la musique qu’écoutent ou jouent les maîtres. L’intégration de certaines caractéristiques de ces musiques au niveau le plus profond de l’expression musicale africaine entraînera, après quelque trois siècles de macération, la création d’une expression nouvelle, marqué sur le plan rythmique par le phénomène du swing.
Sur le plan mélodique, on constate notamment la création d’une gamme nouvelle dont les notes de tension, dites en anglais “blue notes”, seront à l’origine du blues, qui fait partie intégrante du jazz.

Il est important de garder en mémoire, lorsqu’on aborde le processus d’élaboration du jazz, le fait que la musique traditionnelle africaine contenait en elle les germes prédominants que sont :
— des rythmes irréguliers ou “déhanchés” (ce terme paraît le mieux convenir à vulgariser ce que les musiciens reconnaîtront comme des “syncopes” et “contretemps”), qui transformeront puissamment la rythmique occidentale ;
— des gammes souvent pentatoniques (le musicien s’exprime au moyen de cinq notes différentes) qui, confrontées aux gammes de sept notes occidentales, entraîneront des transformations, peut-être même directement au niveau des deux notes supplémentaires, les fameuses “blue notes” du blues. (Cette dernière hypothèse est parfois contestée).
Toute l’âme noire est là : deux notes dites “blue notes”, baissées par rapport à la gamme “majeure” (gamme de référence en Occident) au moyen d’un “bémol”, peuvent également ne pas l’être (grâce à un “bécarre”), au gré de l’humeur, de la mélancolie ou de la joie du chanteur... Cette versatilité (au sens anglais et positif du terme) constitue à elle seule une grande caractéristique du jazz.
— L’adhésion de plus en plus grande des Afro-américains à la religion protestante les conduit à chanter, à l’église, les chants sacrés des Blancs. Cependant, notamment au niveau de la langue anglo-saxonne dont ils ne maîtrisent pas bien les accents toniques, les Afro-américains vont bouleverser la manière traditionnelle d’interpréter ces chants. De toute manière, ni leurs structures rythmiques ancestrales, ni leurs structures mélodiques ne correspondent à la manière occidentale de concevoir la musique. Le mélange qui s’ensuit est fondamental dans le processus de création du jazz.

À la fin du XIXème siècle, ce sont près de 300 ans de macération qui auront permis l’établissement d’un véritable swing constitutif du jazz, qui s’incarnera dans la musique d’église chantée, principalement sous la forme de “spirituals” et de “gospels”.
— L’origine du spiritual paraît remonter à la fin du XVIIIème siècle, reflétant plutôt l’expression de la souffrance que de la joie ou de l’espoir, lesquels furent du ressort du gospel à partir du début du XXème. Il est intéressant de constater que l’aspect ”dialogal” évoqué par une des acceptions du mot “jazz” est très présent dans le spiritual et le gospel (les fidèles font “la réplique” au prêtre, une phrase après l’autre) ; d’autre part, ce même rapport ”dialogal” existe dans un grand nombre de musiques ancestrales africaines... Grâce au gospel, les Noirs peuvent exprimer à l’église leurs sentiments profonds et... ancestraux. Le Révérend Kelsey parlait de “la joie extatique avec laquelle les Afro-américains interprétaient les psaumes et les cantiques. Ils associaient la danse et la liturgie”.
— À partir du moment où les Afro-américains sont libérés de l’esclavage (1865), ils auront accès à des instruments de Blancs. Ils passent alors peu à peu des tambours, planches à laver, balafons primitifs, importés d’Afrique et éventuellement perfectionnés sur le continent américain (en ce qui concerne le banjo), à des instruments de fanfare (trompette, clarinette, trombone), ainsi qu’au piano. Jouant de ces instruments, ils s’inspirent du répertoire européen (musiques pour fanfares, musique classique pour piano) mais, selon le principe décrit plus haut, ils détournent la musique de son style original pour l’imprégner peu à peu des acquis du swing et du blues. Cet aboutissement se produit au début du XXème siècle. Dans cette évolution, il ne faut pas négliger l’apport des Créoles (les Noirs des colonies françaises, non soumis à l’esclavage), qui étaient aussi bien commerçants qu’hommes d’affaires ou... musiciens. Ainsi de Sidney Bechet, qui fut l’un des premiers jazzmen reconnus, et s’illustra dans le premier style de jazz, nommé “New Orleans”. Ainsi aussi de Ferdinand Joseph La Menthe, dit “Jelly Roll Morton”, qui se disait l’inventeur du jazz...
NB : nous avons beaucoup parlé de swing, en tant qu’élément constitutif du jazz. Souvenons-nous que ce terme sert également à définir un style de jazz correspondant à une époque. Le swing en tant que caractéristique rythmique existe dans tout le jazz, quels que soient le style et l’époque (tout au moins jusqu’aux années ‘60 où certains musiciens rompent expressément avec lui).

Références discographiques : voir le paragraphe suivant
À propos de disques, il faut signaler d’emblée que toute l’histoire du jazz en dépend. L’industrialisation du disque, qui commence en 1917 en ce qui concerne le jazz, est l’instrument fondamental de diffusion qui permettra aux musiciens de s’écouter les uns les autres en dépit des distances géographiques ou des conditions sociales (accès aux lieux de concerts trop coûteux, cours de musique inexistants ou trop onéreux également).

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B. Les sources
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Voici, en résumé, les différents éléments cités étant intervenus dans la formation de la musique de jazz :

1 . Sources “blanches”
— les chants religieux protestants ;
— les chansons populaires anglo-saxonnes et (parfois) françaises ;
— les chansons populaires américaines ;
— les chansons de minstrels (imitation caricaturale de chansons africaines par des Blancs qui les interprètent à leur manière*) ;
— les danses européennes (valses, polkas, mazurkas, quadrilles) notamment interprétées par des fanfares ;
— les marches militaires et autres musiques de fanfares présentes en toutes occasions festives à la Nouvelle-Orléans ;
— la musique de piano.

2. Sources “noires”
— les chants traditionnels africains ;
— les nouveaux chants africains nés sur le continent américain ;
— les chants de travail (work songs, field hollers).

3 . Sources issues du mélange de 1 avec 2
— des chants religieux spécifiques nés sur le continent américain (gospels et spirituals) ;
— le ragtime, mélange de folklore noir et de musique de fanfare blanche ;
— le blues, mélange de ballades blanches (chansons anglo-saxonnes ou américaines), de ballades africaines (chansons africaines nées sur le continent américain) et de worksongs ; de cette branche en particulier naîtra le Blues, non en tant qu’élément constitutif du jazz (utilisation de la gamme et de la structure blues - voir ci-avant) mais en tant que style à part entière (blues rural des campagnes, puis blues urbain des villes).

(*) ces Blancs, qui se noircissaient le visage de cirage, se plaisaient à se moquer des Afro-américains, mais on peut penser que certains se prirent au jeu et y allèrent de leur talent et de leur manière, dont les Noirs en retour s’inspirèrent peu ou prou..

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Références discographiques
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Cette discographie visant à éclairer l’“avant blues” et l’“avant-gospel” qui précédèrent le XXème siècle, fait aussi appel au remarquable fonds du label “Folkways Records” dont les rééditions en CD n’ont pas eu lieu, mais que les amateurs peuvent encore trouver dans les brocantes spécialisées ou chez certains disquaires très éclairés.


Africa : drum, chant and instrumental music of Niger, Mali and Upper Volta (CD)
Negro Folk music of Africa and America (LP)
African and Afro-american drums (LP)
Songs of death from the slave coast (LP)
Songs of war from the slave coast (LP)
African Journey - vol.1 : (LP) - vol. 2 (LP)
Africa in America (CD)
Roots of the blues (LP, CD)
Music from the South, vol.1 : country brass bands (LP)
Frozen brass : Africa and Latin America (CD)
Carribean folk music (LP)
Folk music of Jamaica (LP)
Drums of defiance : Jamaican Maroon music (CD)
Music of Cuba (LP)
Cuba : la danse des dieux (CD)
Afro-Cuba : a musical anthology (CD)
Caribbean revels : Haitian Rara and Dominican Gaga (CD)


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Les premières formes de Jazz
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A. Spirituals et gospels : la génèse

B. Blues et Ragtime : les premières formes de Jazz
1. 1. Le blues
2. références discographiques
1. a. Dans le jazz
2. b. Hors du Jazz
3. c. Entre blues et blues-Jazz

3. 2. Le Ragtime
références discographiques
1. a. Le ragtime au piano
2. b. Le ragtime des premiers Jazzband
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Quelles furent les premières formes de jazz, et où se sont-elles épanouies ?

Le centre de l’explosion jazz de la fin du XIXème siècle fut La Nouvelle-Orléans en Louisiane, dans le sud-est des États-Unis. Congo square, notamment, était le théâtre de grandes fêtes où les Afro-américains jouaient de la musique et dansaient, bientôt rejoints par des Antillais dont les rythmes exotiques se fondirent à la macération néo-orléanaise.
On y entendait notamment des cake-walks, des jubas antillaises et des bamboulas.
Tout était prétexte à fête : mariages, anniversaires, funérailles, repas, soirées masquées...
Voici les propos d’un esclave africain emmené en Virginie en 1752 :
Nous sommes ce que l’on pourrait appeler un peuple de danseurs, musiciens et poètes. De sorte que chaque événement important (...) est célébré par des danses accompagnées de musiques et de chants appropriés”.
D’autres centres que La Nouvelle-Orléans doivent être pris en considération, tels Memphis ou Kansas City.
Pour mémoire, la guerre de Sécession permit aux Afro-américains d’obtenir la liberté (malheureusement entachée du fonds irréductible de racisme que l’on sait) et, dès 1868, d’acquérir la nationalité américaine. L’abolition de l’esclavage alla bien entendu en faveur de l’épanouissement du jazz.
De cette période, nous n’avons aucun témoignage enregistré. Il faut imaginer une musique africaine ancestrale mélangée à des structures rythmiques et mélodiques proches des musiques populaires européennes pratiquées pas les colons blancs. (
Voir ci-dessus, les références discographiques).
Revenons aux sources, pour en parler plus en détail.

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A. Spirituals et gospels : la genèse
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Nous savons que le phénomène de l’élaboration du jazz se reconnaît préalablement dans la musique religieuse sous forme de spirituals et de gospels. C’est dans ces formes, en premier, qu’a dû s’affiner le swing. L’influence du spiritual et du gospel sur le blues est certaine. Il est important de savoir que si le blues constitua une forme de jazz (indépendamment de l’évolution individuelle qui fut la sienne, en parallèle), le spiritual et le gospel ne constituèrent, eux, pas de formes de jazz mais un genre indépendant (même si Louis Armstrong, par exemple, les chanta et les joua dans un esprit jazz). Si l’on peut dire du blues qu’il conduisit à certaines musiques actuelles au travers du Rhythm and blues, il faut tenir compte dans ce processus de l’influence du gospel. Et que serait la Soul music sans le gospel ?
On ne peut donc réellement parler, avec le spiritual et le gospel, de premières formes de jazz, mais seulement d’antécédents ayant exercé une influence fondamentale sur l’élaboration du blues.

References discographiques (collection Gospel)

Les premiers enregistrements de gospels datent de 1902.
Je cite essentiellement des anthologies, le but n’étant pas d’approfondir le gospel mais d’effectuer un tour d’horizon.


Negro religious field recordings, Vol. 1 (1934-1942)
Memphis gospel, 1927-1929
Rev. H.R. Tomlin / Rev. S.J. Worell, 1926-1927
Elder J.E. Burxch / Rev. Beaumont, 1927-1929
Georgia blues and gospel, 1927-1931
Mississippi blues and gospel [field recording]
Gospel classics 1927-1931
Gospel, vol.3 : guitar evangelists and bluesmen 1927-1944
Jubilation, vol.1 : Black gospel
The great Gospel men
Gospel caravan
African American gospel : the pioneering composers
He’s got the world

En jazz :
Louis Armstrong : Gospel 1931-1941

Désireux d’approfondir ? Vous trouverez des anthologies tels que
Mahalia Jackson, Marion Williams, Tommy Dorsey, Alex Bradford, Sister Rosetta Tharpe, The Soul Stirrers, The Staple Singers, The Golden Gate Quartet... dans des versions allant du plus simple au plus sophistiqué...
Citons particulièrement un CD de Document Record où l’on trouvera notamment le magnifique “Little Boy” du Révérend Kelsey (et de ses fidèles), grâce auquel on découvre d’emblée toute la dimension musicale de la liturgie protestante telle que pratiquée par les Afro-américains aux Etats-Unis.
Rev. Kelsley (1947-1951)

NB : avant d’aborder le chapitre qui lui sera consacré, notons que le blues influença toute l’évolution de la musique afro-américaine, à travers le Blues urbain (blues “électrique”), le boogie-woogie (blues rapide), le Rhythm and blues (blues rapide chanté, dont l’imitation blanche fut le Rock’n’roll), la Soul music (le Rhythm and blues dégagé de sa structure blues), le Funk (rythmiquement plus sophistiqué que la soul) et tous les styles musicaux actuels dérivés, tels que le Hip hop, le Rap etc...
Mais d’autre part, le gospel eut une influence fondamentale sur l’élaboration de la soul music. Exemple : “It’s Jesus y’all” où des artistes se réclamant du Gospel interprètent des chansons typiquement gospel, mais sur le mode “soul”.

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B. Blues et Ragtime :

les premières formes de jazz
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Comme premières formes du jazz, il faut considérer d’une part le blues, d’autre part le ragtime et les musiques de fanfare.

Les premières formes du jazz : 1. Le blues

Il est issu des chants de travail (worksongs, field hollers...). Ce sont de simples mélopées dont les esclaves s’aident pour alléger quelque peu le poids de leurs journées de travail forcé et rythmer leur travail. Les “maîtres” blancs laissent faire : grâce aux chants, le rendement est meilleur. “Un Nègre qui chante est un bon Nègre” estiment les propriétaires de plantations. Ces chants reposaient sur un principe de “phrase-réponse” d’origine africaine, scandant le travail et “rassemblant” l’énergie des travailleurs.
Au terme de son évolution, ayant assimilé l’influence des chansons et ballades folk des Blancs, le blues se définira de manière fixe comme une structure musicale axée sur trois accords fondamentaux, ainsi que sur un cycle de douze mesures répété à volonté.

Éclaircissons ces termes :
Un accord consiste en un groupe de notes jouées ensemble et choisies pour l’effet (l’impression, la couleur) qu’elles produisent à l’oreille. Il s’agit donc d’un effet psycho-acoustique.
Selon les notes utilisées dans l’accord, on met en évidence différentes notes de la gamme qui lui correspond. Dans le blues on joue évidemment avec la gamme dite “blues”, déclinée en fonction des trois accords constitutifs du morceau.
La structure du blues est fonction de trois accords, qui s’appuient chacun sur un degré bien déterminé (une note) d’une gamme de base (par exemple un blues en do, en la, en fa, etc...). Ils se succèdent et se répètent selon un ordre immuable.
(Pour les musiciens, précisons que les trois accords privilégiés par le blues sont les accords de tonique, de sous-dominante et de septième de dominante).
Pour tous, indiquons que ces trois accords se partagent l’espace du morceau, dans un ordre bien précis, et occupent douze mesures en quatre temps, c’est-à-dire 48 “temps” (un temps = un battement de pied), après lesquels on revient au début en rejouant 12 mesures, et ainsi de suite - le cycle se répète un nombre de fois variable selon le nombre d’improvisations : il n’y a pas de règle.
Pour les musiciens encore, ajoutons que, selon cet ordre, les accords de tonique, sous-dominante et septième de dominante (respectivement I, IV et V7) se succèdent comme suit : I, IV, I, V7, IV, I.

Enfin, voici quelques rappels et précisions utiles :
— le blues et le gospel/spiritual, différents sur le plan de la structure et de l’expression, sont très proches au niveau du langage ;
— si le blues est devenu une des structures adoptées par les jazzmen, parmi bien d’autres, ce genre s’est également (et fortement) développé de manière individuelle à travers le Blues rural et le Blues urbain pour devenir, à travers le Boogie woogie, le Rhythm and blues (qui est à l’origine de toute la musique afro-américaine des trente dernières années) ;
— si le blues est une structure musicale parmi d’autres au sein du jazz, il est aussi un état d’esprit très présent dans le jazz en général. Ce qui a conduit un critique américain, Leonard Feather, à dire : “le blues est l’essence du jazz, et le simple fait d’être sensible au blues indique qu’on l’est au jazz”. (Cité par J-E Berendt dans son “Grand Livre du Jazz”. On y lit aussi, très à propos, que le blues se définit “de diverses manières : émotionnelle, raciale, sociologique, musicale et formelle”).

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Références discographiques (collection Blues)
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NB : La liste se limite aux CD d’anthologie qui offrent l’avantage d’une vue générale, le Blues n’étant pas notre sujet principal. Pour ne pas entrer dans le détail, distinguons trois grands types de blues : rural (avant-guerre), urbain (après-guerre) et classique (intégration au jazz). Ceux qui nous intéressent sont le Blues rural, contemporain de la création du jazz, et le Blues classique, très révélateur en tant que premier style de jazz.

a. Dans le jazz (pour les jazzmen, le blues est une des structures utilisées) :
Voir la discographie “blues”.

b. Hors du jazz (pour les bluesmen, le blues est la structure principale) :
The earliest negro vocal quartet
Backwoods blues 1926-1935
Country blues collector’s items
Rural blues, vol.1 1934-1956
Giants of country blues, vol.1 1927-1938
Best of country blues
The greatest in country blues, vol.3
Country blues collector items 1928-1933
Back country boogie
Don’t leave me here
Blues roots
Rediscovered blues
St Louis Blues 1925-1941
Blues in the Mississippi night
Mississippi moaners 1927-1942
Beauty of the blues
Lonesome road blues
Georgia blues, 1928-1933
Kansas City blues, 1924-1929
St Louis country blues, 1929-1937
Good time blues
The legacy of the blues

De même que pour le Gospel, on peut bien entendu approfondir en écoutant les CD enregistrés sous leur nom par les musiciens figurant sur les anthologies ci-dessus, à savoir :
Lightnin’ Hopkins, Sonny Boy Williamson, Sonny Terry, Brownie Mc Ghee, Big Bill Broonzy, Blind Boy Fuller, Skip James, Homesick James, Washboard Sam, J-B Lenoir, Little Walter, Johnny Shines, Big Joe Williams, Memphis Slim, Clifton Chenier, et bien d’autres dont certains s’illustrèrent surtout ou uniquement dans le Blues urbain..

c. Entre blues et blues-jazz :
Le “Classic blues”, qui peut être considéré comme l’une des deux formes de jazz les plus anciennes (avec le ragtime des jazzbands). Ici, l’accompagnement (les accords) n’est plus tant exécuté par le banjo ou la guitare que par le piano, avec éventuellement contrebasse et percussion (éléments de base de batterie), ainsi qu’un ou plusieurs instruments mélodiques (cornet, trompette, clarinette, trombone). Bessie Smith est la plus illustre des chanteuses de blues classique.

Blues masters, vol.11 : classic blues women
Mean mothers : independent women’s blues, vol.1
Better boot that thing : women blues singers
New Orleans Blues, 1923-1940
Piano blues, vol.1, 1927-1936
Barrelhouse piano blues and stomps, 1929-1933
Boogie woogie and barrelhouse piano, vol.1, 1928-1932
Boogie woogie and barrelhouse piano,vol.2, 1928-1930

Pour approfondir :
Bessie Smith, Ida Cox, Gertrude “Ma” Rainey, Bessie Brown, Hazel Meyers, Laura Smith...

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Les premières formes du jazz : 2. Le ragtime
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Le ragtime naquit de l’application à des musiques pour piano inspirées de danses (polkas, quadrilles, cake-walks) et de fanfares (marches) d’un procédé rythmique développé par les musiciens afro-américains au fil du processus de fusion entre leur musique et celle des Blancs. Cependant, il ne s’agit pas du tout de swing (dont les ragtimes sont dépourvus) mais bien d’accentuation des temps.
Une explication très simple peut être donnée de cette notion rythmique.
1. Marchez en commençant par la jambe gauche, en prononçant le chiffre 1 à chaque mouvement de cette jambe. (Ne dites pas “2” lorsque vous bougez la jambe droite). Ce faisant, vous marquerez ce que l’on appelle les “temps forts”.
2. Marchez en commençant par la jambe gauche, en prononçant le chiffre 2 à chaque mouvement de la jambe droite. (Ne dites pas “1” lorsque vous bougez la jambe gauche). Ce faisant, vous marquerez les “temps faibles”.
En appliquant la démarche 2., probablement aurez-vous eu le sentiment de marcher “à contretemps”, de manière boiteuse ou “contraire”, dans une sorte de déhanchement qui vous fera découvrir un principe fondamental de la musique afro-américaine : le jeu de l’accentuation des temps. Nous y reviendrons en étudiant les différentes époques du jazz, les accentuations étant variables selon les styles.

Ainsi le pianiste de ragtime joue-t-il les basses sur les temps forts, tandis qu’il place des accords (groupes de notes jouées simultanément) sur les temps faibles. Il en résulte un type de déhanchement dit “rag”. Les accords - qui “frappent” l’oreille plus que les notes basses - étant situés sur les temps dits “faibles”, ils suscitent un sentiment de “contre-temps”.
Du point de vue mélodique, on remarque une alternance de trois à quatre thèmes (mélodies reconnaissables), constituant la structure du morceau, joués à la main droite. À l’encontre du concept jazz, il n’y a pas d’improvisation dans le ragtime tel que le jouèrent ses créateurs, Scott Joplin (originaire du Missouri) entre autres. De fait, il ne faut pas confondre le ragtime au piano et le jazz. Le premier n’est qu’un passage, permettant l’élaboration du second.
Ainsi qu’on le verra plus loin, lorsque le ragtime est joué par les fanfares, on se rapproche de plus en plus du jazz, avec la paraphrase musicale et les mélodies simultanées (improvisation collective).
Il est important de noter aussi, quant à l’aspect rythmique, que le ragtime fut d’abord dépourvu de swing, pour s’en imprégner peu à peu dans des versions se rapprochant de plus en plus du concept jazz. Le ragtime disparaît au début des années 20, au profit de nombreuses autres structures mélodiques, harmoniques et rythmiques, qui se seront épanouies parallèlement, dès le début du XXème siècle. Un des premiers musiciens à dépasser le ragtime pour aller vers le jazz fut Jelly Roll Morton, qui prétendit avoir été l’inventeur du jazz en 1902...
Dès la fin du XIXème siècle, par contre, le ragtime était un genre célèbre, et avec lui le pianiste-compositeur Scott Joplin (demeuré très présent à nos mémoires grâce au ragtime “The Entertainer” utilisé par George Roy Hill dans son film “L’Arnaque”), ou encore Louis Chauvin, Sylvester Scott, Tom Turpin, James P. Johnson et bien d’autres.

Références discographiques (collection jazz)

(De même que pour les musiques africaines, le Gospel ou le Blues, la liste se limite à des anthologies et quelques compositeurs, le propos n’étant pas le ragtime en particulier. Quelques disques 33 tours seront cités à titre complémentaire).

a. Le ragtime au piano : l’héritage classique est bien présent

The greatest ragtime of the century
Ragtime, cakewalks & stomps from 1898-1923 from the original recordings (ragtimes au banjo, au xylophone etc...).
Piano ragtime of the 10’s, 20’S et 30’s, vol.1 à vol.3 (LP)
James. P Johnson : Ragtime to jazz, 1921-1939
Ragtime blues guitar, 1927-1930
Scott Joplin : Ragtime, 1896-1917
Scott Joplin : King of ragtime, 1898-1917
Scott Joplin : Original piano rolls 1899-1916

b. Le ragtime des premiers jazzbands :

la forme la plus ancienne de jazz non blues.

Voir la
discographie New Orleans.


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Les grandes lignes du jazz
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A. Contexte général

B. Caractéristiques musicales
1. 1. Les instruments
2. 2. L’organisation mélodique
3. 3. L’organisation rythmique
4. 4. Quelques conseils

Discographie
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Que signifie “New Orleans” ?
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A. Contexte général : les premières décennies du XXe siècle

Vers la fin du 19e siècle, les musiciens noirs utilisèrent de plus en plus les instruments des Blancs. Il semble que les premiers jazzbands aient vu le jour dès les années 1890. Un jazz “initial”, dérivé de polkas et quadrilles se développe, par exemple à la faveur des “riverboats” (bateaux de plaisance parcourant le Mississippi) où les Blancs prennent plaisir à écouter, la nuit, des orchestres formés par les Afro-américains travaillant de jour comme personnel de bord. Mais surtout, les multiples bars, honky-tonks, tavernes, clubs et maisons closes d’une certaine ville de Louisiane sont le foyer de prédilection du jazz. Nous parlons de La Nouvelle-Orléans, en anglais : New Orleans.
Si le nom “New Orleans” fut généralement adopté pour désigner le premier style de jazz, précisons que “Dixieland” (“terre de Dixie”, au Sud des États-Unis), fut également utilisé.
Sur le plan économico-social, résumons en quelques mots la situation des États-Unis. Après un boom industriel et démographique, une crise survient en 1907, tandis que d’immenses empires financiers se développent, contrastant durement avec des situations de plus en plus insupportables sur le plan social. On trouve là les origines du combat syndical aux USA.
En 1917 les États-Unis se voient contraints d’intervenir militairement en Europe. Un “effort de guerre” est alors demandé à la Marine américaine, entraînant la fermeture du “quartier des plaisirs” de La Nouvelle-Orléans : Storyville. Pour cette raison, on peut considérer que 1917 signifie la fin du style New Orleans en Louisiane. En effet, toute l’animation musicale des bars dépendait des jazzbands. Ceux-ci, privés de leurs lieux d’expression, se virent contraints d’émigrer vers le Nord (Chicago et New York, principalement).

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B. Caractéristiques musicales :

1. les instruments
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Les banales fanfares de musiciens blancs, dont ils s’inspirent, vont permettre aux Afro-américains de développer un style nouveau, insufflant le génie dans ce qui n’était que de vulgaires marches militaires...
Le “jazzband” typiquement New Orleans fut un mélange, une fois de plus, d’éléments africains et européens. L’aspect rythmique était notamment assuré par des instruments créés - ou améliorés - par les Africains sur le continent américain : banjo d’une part, instruments à percussion d’autre part. Parmi ces derniers - qui constitueront peu à peu la batterie - il faut considérer les toms (fûts de dimensions diverses) en tant qu’instruments d’inspiration africaine, la grosse caisse, la caisse claire et les cymbales (propre à la musique classique) étant d’origine européenne. Mais aux débuts du style New Orleans, on ne parle pas encore de batterie et l’on conserve l’esprit fanfare, par définition mobile, où l’on se contente d’une grosse caisse surmontée d’une petite cymbale à l’envers pouvant être frappée par-dessus à l’aide d’une autre cymbale de même format. Ceci est un embryon de ce que sera le “hi-hat”, où les deux petites cymbales coulisseront sur une tige métallique grâce à un système de pédale.
Autre élément rythmique : le tuba. Il s’agit de cet instrument à vent typique des orphéons, famille des cuivres, nanti d’un énorme pavillon s’ouvrant sur le ciel... Singulier paradoxe pour un instrument produisant des sons particulièrement graves et lourds, et constituant un élément fondamental de l’“assise” du jazzband. Grâce au tuba, les musiciens jouant d’instruments mélodiques, solidement soutenus par la force tranquille de la “pompe”, peuvent, eux, participer à la conférence des oiseaux, volubiles, fantasques et virtuoses : je parle de la trompette ou du cornet (variante l’un de l’autre) et de la clarinette.
Entre eux et le tuba s’insère un instrument fondamental de “liaison” : le trombone à coulisse. Il participe au discours à trois (avec la trompette et la clarinette) mais renforce en même temps, dans un autre registre, les indications musicales données par le tuba. Celui-ci, comme on l’a dit, joue les notes principales contenues dans les différents accords joués par le banjo. Et voici la boucle bouclée (nous avions commencé par le banjo en tant qu’instrument rythmique ; mais son rôle harmonique est également fondamental).
Notons enfin que des variations à cette formule existèrent en nombre : soit que les orchestres n’étaient pas au complet, soit que l’on redoublait certains instruments.

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2. L’organisation mélodique et harmonique
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Rappelons encore la signification de ces termes :
--Mélodie = succession de notes jouées par un instrument, donnant lieu à des phrases musicales ;
--Harmonie = groupes de notes jouées simultanément par un instrument, donnant lieu à des accords (banjo, guitare, piano).

Le schéma du style New Orleans est simple : la trompette joue la mélodie principale (ou thème) et ses paraphrases (variantes de la mélodie principale). Les paraphrases sont certes des improvisations, mais elles évoluent dans un cadre restreint, ne s’éloignant jamais radicalement du thème. On peut aussi les considérer comme des “ornementations” du thème, des enluminures ou des éclairages. Les paraphrases doivent tenir compte des autres musiciens qui jouent simultanément des phrases musicales : la clarinette et le trombone.
Le trombone, en effet, joue des contre-chants des mélodies de trompette. Par “contre-chant”, il faut entendre : “mélodie jouée simultanément en fonction d’une autre mélodie”. Or, comme l’invention de ces contre-chants s’effectue dans l’instant, il est nécessaire que le trompettiste improvise dans certaines limites, sous peine de désorganisation de la polyphonie. Voici un nouveau terme, qui ne sera pas difficile à comprendre au stade où nous sommes :
Polyphonie = émission simultanée de sons musicaux.
Dès lors : “polyphonie = accords” ? Théoriquement, oui. Mais mieux vaut réserver au terme “accord” l’émission d’un groupe de notes en bloc, le mot “polyphonie” ou “contrepoint” s’adaptant de manière plus adéquate au discours simultané ou aux mélodies simultanées dont il est précisément question en jazz New Orleans.

En résumé : la polyphonie mélodique créée par le trio trompette - clarinette - trombone est liée aux accords (ou harmonies) spécifiques du morceau, jouées par le banjo et dont les notes principales sont mises en évidence par le tuba.
La structure des morceaux de jazz New Orleans se présente de manière très simple :
---1. le trompettiste expose (joue) la mélodie principale (thème), accompagné par les autres musiciens selon le principe exposé ci-avant : contre-chants clarinette-trombone + harmonies banjo-tuba.
---2. le trompettiste paraphrase le thème, la clarinette et le trombone variant leurs contre-chants ;
---3. on revient au 1°.

La partie 1° correspond à une succession d’accords, différente selon chaque morceau. Cette succession s’établit selon un schéma type fondamental dans le jazz : A A B A.
Par exemple :
---- 8 accords se succèdent dans un certain ordre : partie A ;
---- on répète ces huit accords : partie A ;
---- 8 autres accords se succèdent dans un certain ordre :
partie B, appelée “bridge” (pont), ou “middle part” ;
- on répète les huit accords des deux premières parties :
partie A.

Il peut y avoir plus de huit accords par partie. Ce n’était qu’un exemple. Mais toujours, il y a huit mesures de quatre temps par partie. (On peut compter huit fois “un, deux, trois, quatre” en tapant du pied au rythme de la musique). Quatre parties de huit mesures = 32 mesures occupées par des accords, sur lesquels sont jouées des lignes mélodiques.
Ce schéma AABA concernera la majorité des morceaux de jazz non-blues, jusqu’à la New thing des années ‘60.
---Lorsque les accords des parties A, A, B, A ont été joués, et par-dessus eux la mélodie principale et ses contre-chants, on a entendu le 1° ;
---ensuite, le banjo et le tuba recommencent le cycle A A B A. Par-dessus eux, la trompette, la clarinette et le trombone paraphrasent. Généralement, ceux-ci ne se contentent pas de ce cycle AABA supplémentaire et continuent d’improviser des paraphrases sur un ou plusieurs cycles (toujours AABA), avec tour à tour la prédominance de l’un ou l’autre des musiciens.
---Lorsqu’ils ont terminé, on se trouve à la fin du 2°.
---Les musiciens rejouent alors une fois encore la structure A A B A de la même manière qu’au 1°, et le morceau se termine.
Voilà donc une structure très universelle dans le jazz. Mais il faut noter que les morceaux de jazz dits “blues” sont fondés sur une succession de 12 mesures. Les 1°, 2° et 3° détaillés ci-avant sont dès lors occupés par des cycles de 12 mesures et non de 32. Cependant, la structure “blues” n’est pas majoritaire dans le jazz.

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3. L’organisation rythmique
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Nous savons que le jazz New Orleans s’imprégna de swing, un flux rythmique basé sur une dynamique de tension-détente “longue-courte”, où à une note lâchée succède immédiatement une note retenue suivie à nouveau par une note lâchée, etc.
Sur le plan de l’accentuation des notes, il faut distinguer entre un New Orleans “initial” et un autre plus tardif. Dans le premier, l’accentuation des quatre temps de chaque mesure s’établit comme suit :

---1, 2, 3, 4 ~ 1, 2, 3, 4 ~ etc..., autrement dit : accentuation des temps forts.

Pour rappel : lorsque vous frappez du pied dans le rythme du morceau, chaque mouvement de votre pied est égal à un temps, ou un “beat”. Chaque fois que vous avez frappé du pied quatre fois, vous avez avancé d’une mesure dans le morceau. Il vous est loisible de frapper plus fort sur certains temps de chaque mesure. Ce faisant, vous accentuez des temps. Les musiciens de jazz font exactement la même chose, en frappant plus fort les touches du piano, en pinçant plus fort la corde de leur banjo ou guitare, en soufflant plus fort dans leur instrument à vent, mettant en valeur certains temps par rapport aux autres. (Un autre procédé d’accentuation consiste en une alternance entre les instruments - voir ci-après).
Dans un style New Orleans ultérieur, les musiciens allèrent de plus en plus dans le sens d’une accentuation des temps 2 et 4, comme suit :

---1, 2, 3, 4 ~ 1, 2, 3, 4, etc..., autrement dit : accentuation des temps faibles, dits “afterbeats”.

Cette accentuation peut être produite autrement que par le renforcement du son, par exemple si la grosse caisse, la main gauche du piano et le tuba ne jouent que les temps 1 et 3 tandis que la caisse-claire et le banjo ou le piano main droite jouent les temps 2 et 4. C’est le cas pour le jazz New Orleans de la deuxième période.

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4. Petits conseils...
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Essayez d’écouter le jazz New Orleans tel que le concevaient les contemporains du style, à savoir comme une musique exultante, exaltante, vitalisante, pétaradante ! Vous sauterez alors la barrière créée a priori par un esprit “fanfare” qui peut paraître désuet ou naïf à nos oreilles du 21e siècle... Il faut savoir qu’à l’époque de Storyville, la musique des jazzbands jaillissait comme l’eau des fontaines, et que les orchestres s’affrontaient en de véritables joutes dans les rues et dans les bars (“cutting contests”). C’était à celui qui jouerait avec le plus de brio, avec le plus de verve et souvent... le plus vite (à l’exception des morceaux de blues).

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Références discographiques
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N.B. : On ne dispose d’aucune source phonographique correspondant à la période New Orleans de Storyville. L’industrie du disque ne s’intéresse au jazz qu’à partir de 1917, année qui, précisément, marque l’exode des musiciens vers d’autres villes.
Néanmoins, aucune transition musicale ne s’est jamais produite d’une nuit à son lendemain, comme on tourne une page. L’émigration des musiciens néo-orléanais vers Chicago et New York ne signifie pas que le jazz changea immédiatement et fortement de physionomie. De plus, ce sont surtout les musiciens blancs qui apportèrent - involontairement - des modifications. Aussi les enregistrements de la fin des années ‘10 et un grand nombre de ceux des années ‘20 permettent-ils de se faire une idée valable de ce que fut le New Orleans à son apogée (mais non de ce que fut le New Orleans initial).
Ne vous étonnez donc pas si je fais appel à des enregistrements des années ‘20 pour couvrir le New Orleans des années ‘10...
Il faut tenir compte aussi que la carrière des artistes dépasse en général le cadre temporel attribué comme référence à un style. On pourra donc aller chronologiquement plus loin avec Louis Armstrong, par exemple, que nous ne le faisons ici (Armstrong eut une carrière intense qui se prolongea jusqu’aux années ‘60 !).
Enfin, on gardera en mémoire que l’industrie du disque nous permet d’entendre seulement des professionnels, alors que nombre d’amateurs pratiquèrent une musique New Orleans forcément moins aboutie sur le plan de l’exécution.
La collection Folkways dont je parlais précédemment (non ré-éditée en compacts) offre à cet égard d’intéressants témoignages :
Afro-American Music : A Demonstration Recording (LP)

Quant aux professionnels... :


ARMSTRONG, Louis
Louis Armstrong And King Oliver, 1923-1924
The Hot Fives - Vol.1, 1925-1926
The Hot Fives And Hot Sevens - Vol.2, 1926-1927, Vol.3, 1927-1928
Louis Armstrong And His Orchestra 1928-1929
Louis Armstrong - Vol.5 : Louis In New York, 1929
Vol.7 : You’re Drivin’ Me Crazy, 1930-1931
Louis Armstrong And His Orchestra 1931-1932

BECHET, Sidney
Complete Edition - Vol.1 : 1923, Vol.2 : 1923-1930
The Legendary Sidney Bechet, 1932-1941
Sidney Bechet 1937-1938, 1940-1941

DODDS, Johnny
Great Original Performances 1923-1929
Johnny Dodds 1926
Blue Clarinet Stomp, 1926-1929, 1927-1928

MORTON, Jelly Roll
Complete Edition, Vol.1 : 1923-1924, Vol.2 : 1924-1926
Vol.3 : 1926
Vol.4 : 1926-1928
Vol.5 : 1928-1929

NOONE, Jimmie
1923-1928
1929-1930

OLIVER, King
The Complete 1923 Okeh Records
The Complete King Oliver’s Creole Jazz Band, 1923-1924
And His Dixie Syncopators, 1926-1928
Sugar Foot Stomp, 1926-1928
Complete Vocalion/Brunswick Recordings 1926-1931
And His Orchestra 1928-1930

ORIGINAL DIXIELAND JAZZ BAND
The Complete Original Dixieland Jazz Band, 1917-1936
Original Dixieland Jazz Band, 1921-1936

WILLIAMS, Clarence
1921-1924
1924-1926


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Que signifie “Chicago” ?
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A. Contexte général

B. Caractéristiques musicales
1. 1. Les instruments
2. 2. L’organisation mélodique
3. 3. L’organisation rythmique

Discographie
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A. Contexte Général : les années 20
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Après la fermeture des bars de Storyville en 1917, les musiciens se voient forcés d’émigrer vers le Nord : Kansas City, Chicago, New York...
Le climat d’après-guerre, à Chicago, s’avérait favorable au jazz. La prohibition, dès 1920, battait son plein, et avec elle sa transgression. Toutes les têtes brûlées d’Amérique semblaient s’être donné rendez-vous dans la ville, y bravant les interdits... et découvrant la musique importée de La Nouvelle-Orléans. Les boîtes de nuit florissaient. On y engageait des orchestres. Le mot jazz s’imposa définitivement pour désigner la musique qu’on y jouait.
Plusieurs centaines de musiciens afro-américains de La Nouvelle-Orléans - une trentaine d’orchestres - s’étaient installés un peu partout dans Chicago. Ils jouaient aux Royal Gardens, au Sunset, au Panama, au Dreamland, au Kelly’s Stable, au De Luxe, à l’Elite number one et à l’Elite number two, etc., en soirée mais aussi “after hours” (après les heures), jusqu’au début du jour, pour leur plaisir.
Les années ‘20 aux États-Unis furent des années de prospérité, également favorables à la musique. Agriculture et industrie se portaient on ne peut mieux, mais il faut voir à qui cette prospérité profitait : au milieu de la décennie, le Ku-Klux-Klan comptait cinq millions d’adhérents. Pas de quoi rendre la vie facile aux Noirs.
À Chicago, les musiciens blancs des écoles classiques, influencés par la musique de jazz qu’ils entendaient dans les boîtes, s’essayèrent à la jouer, sans parvenir à imiter réellement le style New Orleans. Cette interprétation personnelle du jazz est à l’origine d’une musique un peu différente, qualifiée de “style Chicago”.
New York et Kansas City furent également les lieux d’un développement géographique et stylistique du jazz qui, avec l’intervention américaine à la fin de la première guerre mondiale, pénétra aussi l’Europe (sans en faire pour autant un foyer d’évolution de cette musique).
Il ne faut pas considérer que le style Chicago remplaça le style New Orleans, mais seulement que les orchestres de musiciens blancs apportèrent des transformations au terme d’une assimilation par définition incomplète - au regard des différences de cultures. Notons, sur un autre plan, que des orchestres mixtes se constituèrent, rendant moins franche la limite entre un style et l’autre. Mais pendant toutes les années ‘20 le New Orleans vécut, à Chicago notamment, son âge d’or, consacré par de multiples enregistrements des Hot Five et Hot Seven de Louis Armstrong, les Red Hot Peppers de Jelly Roll Morton, le Creole Jazz Band de King Oliver etc. - pour lesquels une
sélection discographique figure au chapitre New Orleans qui précède. Par ailleurs, le New Orleans atteignit New York où il évolua quelque peu jusqu’à l’ère Swing, préparée par un musicien de génie : Duke Ellington.

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B. Caractéristiques musicales
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---1. Les instruments
Pas de grands changements, si ce n’est le remplacement progressif du banjo par le piano ou la guitare, et du tuba par la contrebasse à cordes. Certains jazzbands conservent le banjo tout en ajoutant le piano. Parfois, le saxophone ténor intervient en lieu et place du trombone. La batterie se définit de plus en plus telle que nous la connaissons aujourd’hui : grosse caisse au sol avec pédale, cymbales hi-hat avec pédale également, caisse claire, toms, cymbales “ride” (légère, pour souligner la rythmique) et “crash” (dure, pour marquer certains moments des morceaux).

---2. L’organisation mélodique et harmonique
Elle est semblable à celle du New Orleans, sauf sur un point : l’invention mélodique des musiciens blancs est bien plus “cool” que celle des musiciens noirs... Un certain “Cool jazz” des années ‘50 s’en souviendra. D’aucuns parlent d’austérité, de dépouillement, d’anti-lyrisme. “Heurtée, brutale, rocailleuse, l’élocution chicagoanne s’oppose à celle, flegmatique, de la Nouvelle Orléans” dit Lucien Malson. “Dans l’improvisation collective, le saxophone ténor tient fréquemment le rôle du trombone, et chaque mélodiste tend à l’autonomie”.

---3. L’organisation rythmique
Confirmation du principe s’étant développé dans le New Orleans de la deuxième époque, avec l’accentuation des temps faibles (2 et 4).

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Références discographiques
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CHICAGO

BEIDERBECKE, Bix
Bix Beiderbecke And The Chicago Cornets, 1924-1925
Complete In Chronological Order -
Vol.1 : Fidgety Feet, 1924-1926,
Vol.2 : Sunday, 1926-1927,
Vol.3 : I’m Coming Virginia, Etc. (9 Volumes).

NICHOLS, Red
Red Nichols And Miff Mole, 1925-1930
Rhythm Of The Day, 1925-1932
Original 1929 Recordings

VENUTI, Joe
Joe Venuti And Eddie Lang - Vol.1, 1926-1928
Violin Jazz, 1927-1934

NB : Spanier, Venuti, Nichols, et bien d’autres musiciens de Chicago, jouèrent aussi bien à New York avec des New Yorkais. Pour cette raison, il n’est pas toujours évident de rattacher absolument un musicien à l’une ou l’autre de ces deux villes. D’autre part, la discographie de beaucoup d’entre eux (Jack Teagarden, Eddie Condon, Pee Wee Russell, etc...) n’est guère abondante en tant que leaders, avant les années ‘30, voire ‘40.
On pourra se faire une assez bonne idée du style et des musiciens chicagoans grâce à l’anthologie :
Chicago Jazz Style 1924-1935 :
Chicago Blues
Windy City Stomp
Makin’ Friends
Wailin’ Blues
The Land Of Dreams

NEW YORK

ALLEN, Henry Red
1929-1933
1929-1936

ELLINGTON, Duke
And His Orchestra 1924-1927
Complete Edition -
vol.1 : 1924-1926
vol.2 : 1926-1927
vol.3 : 1927-1928

HENDERSON, Fletcher
Fletcher Henderson And His Orchestra :
1923-1924
1924-1925
1925-1926
1926-1927
1927-1931

Entre autres anthologies :
New York Jazz - In The Roaring Twenties, 1926-1928

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